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eût vécu plus longtemps, sévère comme il était, ne vous aurait pas laissé vivre, fut retranché de la liste des sénateurs par le censeur Philippus son propre neveu. Celui-ci ne pouvait rien alléguer pour qu’on ne rectifiât point ce qui avait été fait par un gouvernement sous lequel il avait consenti lui-même à exercer la censure. Mais, pour ce qui me regarde, on sait que L. Cotta, qui avait passé par cette charge, déclara, en plein sénat, sous la foi du serment, que, s’il eût été censeur durant mon absence, il m’eût nommé, à mon rang, sur la liste des sénateurs. Citez un magistrat qui ait substitué un juge en ma place ; un de mes amis, qui, en mon absence, ne m’ait porté sur son testament pour le même legs que si j’eusse été présent ; un citoyen, ou même un allié qui ait hésité de me recevoir et de m’aider, en dépit de votre loi ! Enfin le sénat, bien avant la loi de mon rappel, DÉCRÉTA DES REMERCÎMENTS POUR LES CITÉS QUI AURAIENT DONNÉ ASILE À M. TULLIUS. Ne dit-il que Tullius ? Non. Il portait en outre : CITOYEN QUI A RENDU DE GRANDS SERVICES À LA RÉPUBLIQUE. Et vous, peste publique, vous osez seul disputer le titre de citoyen, après son rétablissement, à celui que le sénat regardait, malgré son expulsion, non-seulement comme citoyen, mais comme un excellent citoyen !

D’ailleurs, suivant ce que rapportent les annales du peuple romain, et les monuments de l’antiquité, un Quintius, un Camille, un Servilius Ahala, après de grands services, éprouvèrent la rigueur et les violences d’un peuple irrité. Condamnés dans des assemblées par centuries, ils sont forcés d’aller en exil ; mais bientôt ce peuple apaisé les rappelle lui-même et les rétablit. Si les disgrâces de ces grands hommes, après une condamnation légale, loin de diminuer leur gloire, en ont rehaussé l’éclat (car, quoiqu’il soit plus à désirer de pouvoir passer le cours de sa vie sans essuyer de chagrin ni d’outrage, toutefois pour qui aspire à l’immortalité, il est bien plus glorieux d’avoir été regretté de ses concitoyens, que de n’en avoir jamais reçu d’injustice) ; moi qui partis de Rome sans avoir été jugé par le peuple, et qui n’y suis revenu qu’en vertu des décrets les plus honorables, comment puis-je m’entendre reprocher mon absence comme un déshonneur ou comme un crime ? P. Popillius fut un citoyen vertueux, dont la conduite, réglée sur les meilleurs principes, ne se démentit jamais : néanmoins, dans toute sa vie, rien n’a été plus glorieux pour lui que sa disgrâce même. Eh ! qui se souviendrait aujourd’hui des services qu’il rendit à l’État, s’il n’eût point été chassé de sa patrie par les méchants, et rétabli par les gens de bien ? Q. Métellus commanda les armées avec gloire, sa censure mérita l’éloge, toute sa vie fut grave et digne ; ce ne fut toutefois que la disgrâce qui éternisa la mémoire de ce grand homme.

XXXIII. Si donc l’injustice des factions ne déshonora point ces hommes respectables, exilés sans l’avoir mérité, mais pourtant d’une manière légale ; rappelés ensuite, après la mort de leurs ennemis, sur de simples réquisitions des tribuns, sans que l’autorité du sénat y intervînt, sans que les comices par centuries, les décrets de l’Italie, les regrets de la cité les rappelassent : moi qui partis sans avoir été condamné, qui me bannis de Rome quand Rome était bannie ; qui, vous étant plein de vie, revins comme en triomphe, ramené par l’un de vos frères, alors consul ; redemandé par l’autre, alors préteur : dois-je, à