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deux citoyens pour le bien de la patrie, cette réciprocité de bons offices, cette amitié si intime, on était parvenu à la troubler un instant par le mensonge et la calomnie : on avertissait Pompée de me craindre, de se défier de moi ; on me le représentait comme mon plus dangereux ennemi ; en sorte que je ne pouvais plus lui demander librement les services dont j’avais besoin, et que lui-même, aigri de tant de soupçons que lui inspiraient contre moi ces hommes perfides, ne me promettait plus aussi nettement tout l’appui que réclamait ma triste situation. Pontifes, j’ai payé cher mon erreur, et je suis non-seulement affligé, mais honteux de ma folie : comment, après avoir été si étroitement uni avec le plus généreux et le plus grand des hommes, non par un intérêt passager, mais par des services et des travaux depuis longtemps communs ; comment me suis-je laissé ravir une telle amitié, faute d’avoir su distinguer les ennemis déclarés que je devais combattre, et les faux amis dont je devais me défier ? Qu’ils cessent donc enfin de vouloir encore m’animer par ces paroles : À quoi songe-t-il ? ignore-t-il ses forces, ce qu’il a fait, avec quel éclat il a été rétabli ? Pourquoi ignore-t-il un homme qui l’a ainsi abandonné ?

Oui, je fus abandonné, livré même, j’en conviens, et je ne crois pas nécessaire de dévoiler ici tout ce qui s’est fait contre moi dans cet embrasement de la république, ni par qui, ni comment tout s’est fait : s’il a été avantageux à ma patrie que je portasse seul pour tous le poids de cette injuste calamité, peut-être l’est-il encore que je me taise sur ceux dont la scélératesse a causé tant de maux. Mais une chose qu’il serait ingrat de cacher, et que je publierai de grand cœur, c’est que Pompée a contribué autant qu’aucun de vous à mon rétablissement, par son zèle et son autorité, et plus que tout autre, par les soins, les combats, les sollicitations, les périls même ou il s’est engagé pour moi.

XII. Vous le savez, Lentulus, tandis que vous n’étiez occupé jour et nuit que de mon rappel, Pompée était de tous vos conseils et de toutes vos délibérations. Personne ne vous exhorta plus vivement à former ce dessein, ne s’associa plus fidèlement à vous pour le mettre a exécution, ne vous aida plus efficacement à le consommer. Ce fut lui qui parcourut nos villes municipales et nos colonies ; lui qui implora le secours de toute l’Italie, dont les vœux m’étaient acquis ; lui qui ouvrit l’avis dans le sénat ; lui enfin qui, après avoir parlé sur ce sujet, finit en conjurant le peuple romain de m’être favorable. Cessez donc, Clodius, de nous répéter que, depuis l’avis ouvert sur l’affaire des subsistances, les pontifes ont changé de sentiments à mon égard : comme s’ils avaient pour Pompée d’autres sentiments que les miens, comme s’ils ignoraient ce que les circonstances m’obligeaient de faire pour répondre à l’attente du peuple romain et reconnaître les services de ce grand homme ; comme si, enfin, dans le cas même où mon avis aurait déplu à quelqu’un des pontifes, ce qui n’est pas, j’en suis sûr, il déciderait sur la religion et la république autrement qu’il n’y est obligé par les règles de la religion et par l’intérêt de l’État.

Je m’aperçois, pontifes, que je me suis éloigné