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pendant cette nuit profonde et ces affreuses tempêtes, où vous seul, après avoir arraché le gouvernail des mains du sénat, et jeté le peuple hors du vaisseau de la république, suivi de cette troupe infâme de pirates dont vous étiez le chef, on vous voyait voguer à pleines voiles ; si toutes ces lois publiées par vous, ces arrêtés, ces promesses, ces ventes de tout genre avaient eu leur entière exécution, quel lieu dans l’univers eût été à l’abri de ces faisceaux extraordinaires et des généraux choisis par Clodius ? Mais enfin se réveilla l’indignation de Pompée (car je dirai devant lui ce que j’ai pensé, ce que je pense encore, quelque gré qu’il m’en sache) ; enfin se réveilla, pour le salut de Rome, cette indignation trop longtemps assoupie ; et la république, naguère sans voix, sans force, sans courage, put espérer encore la liberté et la gloire. Voilà l’homme à qui il ne fallait pas, selon vous, confier extraordinairement l’administration des vivres ! Et ce vil dissipateur, ce ministre de vos débauches, cet homme perdu de misère et noirci de crimes, Sext. Clodius, votre allié, dont la langue rivale vous a disputé votre sœur, a reçu par une de vos lois tout le blé des particuliers et de la république, toutes les provinces chargées d’en fournir, l’inspection de tous les entrepreneurs, les clefs de tous les magasins : de là était venue d’abord la cherté, ensuite la disette ; on était menacé de famine, d’incendies, de meurtres, de pillages ; on voyait votre fureur prête à fondre sur toutes les fortunes.

Ose-t-il donc se plaindre encore que la république arrache l’administration des vivres de la bouche infecte de Sext. Clodius, et que dans un péril extrême, elle ait imploré le secours d’un citoyen qui l’a sauvée et agrandie tant de fois ? Toute loi extraordinaire déplaît à Clodius. Mais celle que tu prétends avoir portée contre moi, abominable assassin de ton père, de ton frère et de tes sœurs, n’est-elle pas tout extraordinaire ? Quoi ! pour ruiner un citoyen que les dieux et les hommes ont regardé comme le libérateur de l’État, et qui de ton propre aveu, loin d’avoir été condamné, n’a pas même été accusé, tu auras pu faire passer, non pas une loi, mais un odieux décret, malgré le deuil du sénat, les larmes de tous les gens de bien, les prières de toute l’Italie, après avoir opprimé et asservi la république ; et moi, pressé par les prières du peuple romain, par les sollicitations du sénat, par le danger même de la patrie qui m’appelait à son secours, je n’avais pas le droit de dire librement mon avis sur les moyens de sauver le peuple romain ! Que si, en ouvrant cet avis, j’ai travaillé pour la gloire de Pompée, inséparable du bien public, je mériterais du moins quelques louanges d’avoir paru m’intéresser à l’honneur d’un homme qui a employé son crédit pour mon rétablissement.

XI. Que mes ennemis cessent enfin, qu’ils cessent d’espérer que je succomberai désormais par les mêmes manœuvres qui leur ont suffi pour me renverser une première fois. Vit-on jamais dans la république deux consulaires plus étroitement unis par les liens de l’amitié, que nous ne l’avons été Pompée et moi ? Quel autre a parlé plus honorablement de Pompée devant le peuple romain, et l’a plus souvent loué dans le sénat ! Travaux, inimitiés, querelles, que n’ai-je point bravé pour sa gloire ! Et lui, quelle marque d’estime ne m’a t-il pas donnée ? quelles occasions de me louer, de me témoigner sa tendre reconnaissance, a-t-il laissé échapper ? Mais cette union, ce concert de