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que vous importe à vous qui prétendez qu’on ne doit confier extraordinairement à personne aucune fonction publique ?

IX. Et je ne vous reproche ici que votre inconséquence, vous qui, loin d’avoir mis en avant Caton à cause de son mérite, l’avez éloigné dans l’intérêt de vos vues criminelles ; qui, après l’avoir livré aux coups de vos Sergius, de vos Lollius, de vos Titius et de vos autres chefs de meurtriers et d’incendiaires ; après l’avoir appelé bourreau des citoyens, premier auteur d’exécutions illégales, apologiste de la tyrannie, n’avez pas laissé de lui décerner nommément, par votre loi, un honneur et un commandement extraordinaires, sans même avoir assez de retenue pour dissimuler le plan de cette détestable manœuvre.

Vous lûtes, devant le peuple assemblé, une lettre que vous disiez avoir reçue de César : CÉSAR À PULCHER ; il vous donnait, selon vous, une preuve d’amitié, en ne mettant à la tête de la lettre que son nom et le vôtre, sans ajouter les titres de PROCONSUL ou de TRIBUN DU PEUPLE. Il vous félicitait, disiez—vous ensuite, d’avoir éloigné Caton de votre tribunat, et d’avoir ôté, pour toujours, la liberté de parler contre les commissions extraordinaires. Assurément, ou César ne vous a jamais écrit cette lettre, ou, s’il l’a fait, ce n’était pas pour qu’elle fût rendue publique. Qu’il l’ait écrite ou que vous l’ayez supposée, cette lecture a, sans contredit, dévoilé le mystère de votre conduite au sujet de Caton.

Mais ne parlons plus de Caton, qui, par sa vertu et son mérite, par sa fidélité même et son désintéressement dans la commission qu’il a remplie, semble couvrir le vice et la méchanceté de votre loi. Qui donc a décerné au plus vil, au plus coupable, au plus infâme de tous les hommes, la province de Syrie, cette province si riche et si fertile ; une guerre à faire aux nations les plus pacifiques ; un argent réservé par César à des achats de terres, et soustrait ainsi à sa destination ; enfin, qui a laissé à Gabinius un pouvoir sans bornes ? Non content de lui avoir livré la Cilicie, vous fîtes transférer, encore extraordinairement, par un nouveau marché, la Cilicie à l’un des préteurs, et vous donnâtes en échange la Syrie à Gabinius, pour augmenter son salaire. Et à cet homme hideux, a ce monstre cruel, à cet imposteur, notoirement souillé de crimes et d’infamies, à Pison enfin, ne lui avez-vous pas nommément livré, pieds et mains liés, des peuples déclarés libres par plusieurs sénatus-consultes, et spécialement par une loi toute récente de son gendre ? Quoiqu’il vous eût payé de mon sang cette province et votre faveur, n’avez-vous pas néanmoins partagé le trésor avec lui ?

Ainsi, quand le plus populaire de tous les tribuns, C. Gracchus, loin d’ôter au sénat la disposition des provinces consulaires, statue, par une loi solennelle, qu’elles seront chaque année réglées par le sénat ; vous, au mépris de la loi Sempronia et du sénat qui l’a décrétée, vous donnez ces provinces nommément, et sans les tirer au sort, je ne dis pas aux consuls, mais aux fléaux de la république ! Et moi, parce que j’ai désigné pour une partie importante de l’administration, alors dans un état presque désespéré, ce héros que la république en péril a si souvent choisi, je serai en butte à vos invectives !

X. Que dis-je ? si tout ce qu’il vous plut de faire