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DISCOURS DE M. T. CICÉRON,
POUR SA MAISON, DEVANT LES PONTIFES.

DISCOURS VINGT-NEUVIÈME.


ARGUMENT.

Clodius, étant tribun du peuple, avait fait exiler Cicéron. Non content de l’avoir contraint à partir, il s’était jeté sur sa maison du mont Palatin, y avait fait mettre le feu, s’était emparé d’une partie de l’emplacement, avait consacré l’autre en y faisant bâtir un temple et placer une statue de la Liberté.

Cicéron, rentré dans Rome, redemanda sa maison aux pontifes, juges naturels de cette affaire, la consécration de Clodius ayant fait une question religieuse de ce qui n’était qu’une violence de parti.

De longs débats s’élevèrent pour interpréter le jugement rendu par les pontifes. Le sénat, enfin, malgré l’opposition de Clodius, et l’intercession du tribun du peuple Serranus, qui s’en désista bientôt, ordonna, par un sénatus-consulte, que la maison de Cicéron serait rebâtie, et que pour ses autres pertes il obtiendrait un dédommagement de l’État.

La maison fut reconstruite à la même place ; elle appartint depuis à Censorinus et à Statilius Sisenna (Vell. Paterc, II, 14.) Il paraît qu’elle occupait la colline du mont Palatin qui fait face au Colisée.

Cicéron, dans une lettre à Atticus, laisse voir tout le cas qu’il fait de ce Discours. « J’ai plaidé, dit-il, devant les pontifes, le dernier jour de septembre i l’an de Rome 696 ; ma pièce était fort travaillée, et si jamais j’ai pu être éloquent, ou même si je l’ai jamais été, certainement alors le ressentiment de tant d’outrages et l’importance du sujet m’ont inspiré quelque éloquence. Ce Discours mérite d’être mis entre les mains de notre jeunesse, et je m’empresserai de vous l’envoyer. »


I. Dans ce grand nombre de sages institutions que les dieux inspirèrent à nos ancêtres, il n’en est point, vénérables pontifes, de plus belle que cet usage qui veut que vous soyez à la fois les premiers ministres de la religion et de l’État, et que les plus illustres, les plus nobles citoyens, pontifes en même temps, par la prudence de leur gouvernement et la sagesse de leurs réponses sur la religion, maintiennent la sûreté de l’État. Que si jamais cause importante fut soumise au jugement et a l’autorité des pontifes du peuple romain, c’est assurément celle-ci, puisque la dignité de l’empire, la vie, les droits, la liberté, les autels, les foyers, les dieux domestiques, les biens, la fortune, le domicile de tous les citoyens, semblent a la fois remis et confiés à votre sagesse, à votre pouvoir, à votre justice. Vous avez à décider aujourd’hui si vous aimerez mieux désormais priver les magistrats insensés et corrompus de l’appui des citoyens pervers et vendus au crime, ou si vous armerez encore leurs bras de l’autorité sainte des dieux immortels. Si cet homme, l’opprobre et le fléau de la république, peut couvrir du manteau de la religion son funeste et pernicieux tribunat, que les lois humaines refusent de protéger, il nous faudra chercher d’autres autels, d’autres ministres des dieux, d’autres interprètes de leur culte. Votre sagesse, au contraire, et votre autorité faisant disparaître enfin les traces de la fureur des méchants contre la république opprimée par les uns, abandonnée ou trahie par les autres, nous aurons lieu d’applaudir à la prudence qu’ont montrée nos ancêtres en choisissant les plus considérables personnages de l’État pour remplir les fonctions du sacerdoce.