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pu, ses vœux et sa constance ont opéré mon rappel. Nul municipe, nulle colonie ne s’émut pour le retour de ces illustres bannis. L’Italie entière m’a rappelé trois fois par des décrets unanimes. Ils ont revu les murs de Rome, après le meurtre de leurs ennemis et le massacre d’un grand nombre de citoyens. Et moi, lorsque j’y reviens, ceux qui m’avaient rejeté régissent des provinces ; l’un des consuls, vertueux d’ailleurs et plein de modération, n’est pas mon ami, mais son collègue a proposé mon rappel ; et le pervers qui, pour me perdre, avait vendu sa voix à nos ennemis communs, respire encore, mais il n’est plus qu’une ombre errante.

V. Jamais le consul Opimius ne proposa rien au sénat ni au peuple en faveur de Popillius, ni Marius en faveur de Métellus, dont il était ennemi. Les successeurs même de Marius, Antonius, cet homme si éloquent, et Albinus, ne demandèrent point le rappel de Métellus. Mais pour moi, les consuls de l’année dernière ont été sans cesse sollicités de faire un rapport à mon sujet. Sans doute ils craignirent qu’on ne leur reprochât un excès de prévention en ma faveur, parce que l’un était mon allié, et que j’avais défendu l’autre dans une cause capitale. Ces deux hommes, liés par le traité qui leur donnait des provinces, supportèrent pendant toute cette année les plaintes du sénat, la douleur des bons citoyens, et les gémissements de l’Italie. Mais aux calendes de janvier, la république, orpheline trop longtemps délaissée, implora la foi du consul, comme d’un tuteur légitime ; et Lentulus, le père, le dieu de ma vie et de ma fortune, le sauveur de ma mémoire et de mon nom, après avoir fait son rapport sur les objets de la religion, jugea qu’il ne devait s’occuper d’aucune affaire humaine, avant que la mienne eût été terminée.

Elle l’eût été ce jour-là même, si ce tribun du peuple à qui j’ai fait tant de bien lorsqu’il était questeur et moi consul, insensible aux prières du sénat tout entier, aux instances d’une foule de citoyens respectables et même du vertueux Oppius, son beau-père, qui le suppliait en larmes, n’eût demandé la nuit suivante pour faire ses réflexions : temps qu’il employa, non pas à rendre, comme quelques-uns le pensaient, mais, ainsi que la suite l’a démontré, à faire doubler son salaire. Depuis ce moment, nulle affaire ne fut traitée dans le sénat ; et, malgré tous les obstacles, la volonté de cet ordre s’étant montrée inébranlable, ma cause, au mois de janvier, fut portée devant vous.

Observez ici quelle a été la différence entre mes ennemis et moi. Instruit qu’on faisait publiquement des enrôlements auprès du tribunal Aurélius ; que l’espoir du carnage avait été rendu aux vieux soldats de Catilina ; que dans le parti même qui me comptait parmi ses chefs, plusieurs, soit par envie, soit par crainte, me trahissaient ou m’abandonnaient ; que deux consuls, qui s’étaient vendus pour des provinces, s’offraient comme chefs aux ennemis de la république ; qu’ils croyaient ne pouvoir assouvir leur indigence, leur cupidité et leurs fantaisies qu’en me livrant sans défense à la rage de ces forcenés ; que des édits et des ordonnances défendaient au sénat et aux chevaliers romains de pleurer sur mon sort, de prendre le deuil, et de vous supplier en ma faveur, que les concessions de provinces, que toutes les transactions et toutes les réconciliations étaient le prix de mon sang : et voyant, d’une autre part,