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DISCOURS DE CICÉRON AU PEUPLE,
APRÈS SON RETOUR.

DISCOURS VINGT-HUITIÈME.


ARGUMENT.

Le lendemain de sa rentrée et de son discours au sénat, les consuls présentèrent Cicéron au peuple. Il prononça la harangue connue sous le nom de Oratio ad Quintes, post reditum.

Dans ce Discours, Cicéron n’a pas prononcé une seule fois le nom de Clodius, son persécuteur. Craignait-il un reste de crédit de ce fougueux démagogue auprès du peuple, ou ne voulut-il pas, Clodius ayant cessé d’être magistrat, mêler des récriminations à des paroles de reconnaissance et de joie ? Quoi qu’il en soit, il se dédommagea bien de ce silence dans les trois discours pro Domo sua ad pontifices, de Aruspicum responsis ; pro Sextio ; qu’il composa peu de temps après.

Cette harangue fut prononcée l’an de Rome 696. Cicéron avait alors cinquante et un ans.


I. Romains, dans le temps où j’ai fait le sacrifice de ma vie et de mes biens pour votre sûreté, pour votre repos et le maintien de la concorde, je me suis adressé au souverain des dieux et à toutes les autres divinités ; je leur ai demandé que, si jamais j’avais préféré mon intérêt à votre salut, ils me fissent éternellement subir la peine due à des calculs coupables ; que si au contraire, dans tout ce que j’avais fait jusqu’alors, je m’étais uniquement proposé la conservation de la république, et si je me résignais à ce funeste départ dans la seule vue de vous sauver, en épuisant sur moi seul tous les traits de cette haine que depuis longtemps des hommes audacieux et pervers nourrissaient dans leur cœur contre la patrie et tous les bons citoyens : le peuple, le sénat et toute l’Italie daignassent un jour se rappeler mon souvenir, et donner quelques regrets à mon absence. Je reçois le prix de mon dévouement ; et le jugement des dieux immortels, le témoignage du sénat, l’accord unanime de toute l’Italie, la déclaration même de mes ennemis, et votre inappréciable bienfait, qui sont ma récompense, ont rempli mon âme de la joie la plus vive.

Quoique rien ne soit plus à désirer pour l’homme qu’une félicité toujours égale et constante, qu’une vie dont le cours ne soit troublé par aucun orage ; toutefois, si tous mes jours avaient été purs et sereins, je n’aurais pas connu ce bonheur délicieux, ce plaisir presque divin, que vos bienfaits me font goûter dans cette heureuse journée. Quel plus doux présent de la nature que nos enfants ? les miens, et par mon affection pour eux et par l’excellence de leur caractère, me sont plus chers que la vie : Eh bien ! le moment où je les ai vus naître m’a causé moins de joie que je n’en éprouve aujourd’hui qu’ils me sont rendus.

Nulle société n’eut jamais plus de charmes pour moi que celle de mon frère : je l’ai moins senti, lorsque j’en avais la jouissance, que dans le temps où j’ai été privé de lui, et depuis le moment où vous nous avez réunis l’un à l’autre. Tout homme s’attache à ce qu’il possède : cependant cette portion de mes biens que j’ai recouvrée m’est plus