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J’ai pensé, Romains, je me suis flatté, que si notre élévation vous était indifférente, notre conservation du moins vous serait chère.

Flaccus, sans doute, quand même (aux dieux ne plaise ! ) il succomberait en ce jour sous les coups d’ennemis injustes, ne se repentira jamais d’avoir pourvu avec zèle à votre sûreté, à celle de vos enfants, de vos femmes, de vos plus chers intérêts. Il pensera toujours qu’il devait de tels sentiments à l’illustration de sa famille, à sa vertu, à la patrie. Vous, Romains, au nom des dieux, épargnez-vous le repentir de n’avoir pas épargné un tel homme. Eh ! combien en est-il qui suivent la même conduite dans la république ; qui soient jaloux de vous plaire, à vous et à ceux qui vous ressemblent ; qui respectent l’autorité des premiers citoyens et des premiers ordres, lorsqu’ils voient une autre route plus facile pour parvenir aux honneurs et à tous les objets de leur ambition ?

XLII. Laissons-leur tout le reste ; qu’ils aient pour eux la puissance, les honneurs, tous les avantages : mais que ceux qui ont travaillé à sauver l’État puissent au moins se sauver eux-mêmes. Croyez-moi, Romains, ceux qui n’ont pas encore choisi de route dans la carrière des affaires publiques attendent l’issue de ce jugement. Si le grand amour de Flaccus pour tous les gens de bien, et son zèle ardent pour la patrie, causent sa ruine ; qui, par la suite, croyez-vous, aura la folie de ne pas préférer la voie qu’il jugeait auparavant dangereuse et glissante, à la voie ferme et unie de la vertu ? Si vous êtes dégoûtés de citoyens tels que Flaccus, faites-le connaître : ceux qui le pourront, qui auront encore la liberté du choix, changeront de système, suivront une autre route ; mais, si vous voulez voir grossir le nombre des citoyens animés des mêmes sentiments que nous, manifestez votre opinion par le jugement que vous allez prononcer.

C’est surtout, Romains, c’est ce jeune infortuné, votre suppliant et celui de vos enfants, qui attend de vous aujourd’hui des règles de conduite. Si vous lui conservez son père, vous lui montrerez quel citoyen il doit être ; si vous le lui enlevez, vous lui apprendrez qu’une conduite sage, régulière, irréprochable, ne doit attendre de vous aucune récompense. Comme il est dans un âge déjà capable de sentir l’affliction paternelle, sans pouvoir encore y porter remède, il vous conjure de ne pas redoubler la douleur du fils par les larmes du père, ni la tristesse du père par les larmes du fils. Ses regards sont tournés vers moi ; son visage m’implore ; ses pleurs réclament l’exécution de mes promesses ; il me redemande les distinctions que j’avais garanties à son père, pour avoir sauvé la patrie. Que votre pitié, Romains, protège une noble famille, un père courageux, un tendre fils ; conservez à la république un citoyen aussi ferme qu’illustre, conservez-le, soit pour la noblesse de son nom, soit pour l’ancienneté de sa famille, soit pour ce que vaut un pareil homme.