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rien de plus misérable, rien de plus infâme. Si les Tralliens n’ont pas d’autre vengeur de leur ressentiment, d’autre dépositaire de leurs registres, d’autre témoin de leurs injures, d’autre porteur de leurs plaintes ; qu’ils rabattent de leur orgueil, qu’ils renoncent à leur fierté, qu’ils répriment leur arrogance, qu’ils reconnaissent Méandrius pour le digne représentant de leur cité. Mais si eux-mêmes ont toujours cru devoir l’accabler chez eux de dédains et d’outrages, qu’ils cessent de, croire qu’on doive respecter une déposition dont nul homme respectable n’a voulu se charger.

XXIII. Mais je vais vous apprendre la vérité : vous saurez comment cette ville n’a point attaqué sérieusement, ni obligeamment défendu Flaccus. Elle lui en voulait pour un certain article qu’Hortensius a si bien discuté. Elle avait payé malgré elle à Castricius une somme due depuis longtemps. De là toute sa haine, tout son ressentiment. Lélius étant venu à Tralles lorsque le peuple était mécontent, et ayant rouvert à dessein une plaie mal fermée, les principaux de la ville se retirèrent ; ils ne se trouvèrent point à l’assemblée d’alors, et ne voulurent point confirmer le décret, ni se charger de la déposition. Il y avait dans l’assemblée si peu de citoyens distingués, que le chef des plus notables était ce Méandrius dont la langue, comme un soufflet de sédition, ne manqua pas d’allumer la fureur de cette multitude indigente. Voici donc le juste motif de ressentiment et le sujet de plainte d’une ville remplie d’honneur, comme je l’ai toujours pensé, et de gravité, comme elle s’en pique. Elle se plaint qu’on lui a enlevé un argent que les villes avaient mis chez elle en dépôt au nom du père de Flaccus. J’examinerai ailleurs ce qui a été permis à son fils : je me contente maintenant de demander aux Tralliens s’ils prétendent que cet argent dont ils se plaignent d’avoir été frustrés, était à eux, et si c’était pour eux que les villes avaient contribué ? Qu’ils répondent. Ce n’est point là, disent-ils, ce que nous prétendons. — Que prétendez-vous donc ? — Que cet argent a été transporté chez nous, qu’il nous a été confié au nom de Flaccus père, pour servir aux fêtes et aux jeux institués en son honneur. — Eh bien ! — Il ne vous était pas permis de le prendre. — C’est ce que je verrai dans l’instant — je m’arrête d’abord à ce point. Une ville qui a de la dignité, des richesses, de la magnificence, se plaint de ne pouvoir retenir l’argent d’autrui ; elle dit avoir été dépouillée, parce qu’on ne lui a pas laissé ce qui n’était pas à elle. Peut-on rien dire, peut-on rien imaginer qui annonce moins de pudeur ? On a fait choix d’une ville, on y a déposé tout l’argent qu’a donné l’Asie pour honorer la mémoire du père de Flaccus. Cet argent a été détourné à un autre usage ; on l’a mis à intérêt ; il n’a été repris qu’après bien des années : quel tort a-t-on fait à la ville ?

XXIV. Mais elle en est mécontente. Je le crois ; car elle s’est vu arracher, contre son espérance, un gain qu’elle avait dévoré en espérance. Mais elle se plaint. C’est manquer de pudeur, car nous ne sommes pas en droit de nous plaindre de tout ce qui nous fâche. Mais elle charge Flaccus dans les termes les plus forts. Ce n’est point la ville, c’est une foule aveugle, ameutée par Méandrius. Ici, juges, rappelez-vous quel est l’emportement de la multitude, quelle est en particulier la légèreté des Grecs, et ce que peut, dans une assemblée populaire, une harangue séditieuse. À Rome même, dans une ville aussi grave et aussi modérée