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arracher les dépouilles ensanglantées, quand il pouvait avoir la proie entière sans répandre de sang ? Vous savez que Sextus n’a rien, qu’il ne prétend rien, qu’il ne peut rien, que jamais il n’a rien projeté contre vos intérêts ; et cependant vous attaquez un homme que vous ne pouvez pas craindre, que vous ne devez pas haïr, et qui n’a plus rien que vous puissiez lui arracher. Peut-être êtes-vous indigné de voir ici couvert d’un habit celui que vous avez chassé de son patrimoine, aussi nu qu’on l’est après un naufrage. Eh ! ne savez-vous pas que sa nourriture et ses vêtements sont des bienfaits de Cécilia, fille de Baléaricus, sœur de Népos, femme respectable, qui, vraiment digne d’un père, d’un frère et d’oncles comblés d’honneurs et de dignités, s’est élevée elle-même au-dessus de son sexe, et ajoute l’éclat de ses vertus à la. gloire de son illustre famille ?

LI. Le zèle de ses défenseurs vous semble-t-il un crime impardonnable ? Ah ! si tous ceux qui furent les amis et les hôtes du père voulaient venir au secours du fils, s’ils osaient parler, il aurait un grand nombre de défenseurs. S’ils s’unissaient pour punir une injustice aussi révoltante, et venger la république compromise en sa personne, il ne vous serait pas permis de rester en ces lieux. Certes, la manière dont on le défend ne doit pas offenser ses adversaires ; ils ne peuvent pas dire qu’ils soient écrasés par la puissance. Cécilia s’acquitte de tous les soins domestiques ; et Messalla, comme vous le voyez, s’est chargé de la conduite du procès. Il plaiderait lui-même, s’il avait assez d’âge et de force ; mais sa jeunesse et cette pudeur qui en est le plus bel ornement, ne le lui permettent pas ; et comme il sait quelle est et quelle doit être mon ardeur à seconder ses généreux desseins, il m’a confié le soin de porter la parole. C’est lui seul dont le zèle infatigable, dont la prudence, le crédit et l’activité ont enfin arraché Sextus aux assassins, et l’ont placé sous la sauvegarde des juges. Sans doute c’est pour une telle noblesse que la plus grande partie des citoyens a pris les armes. Les nobles ont été rétablis dans leurs droits pour faire ce que fait Messalla, pour défendre l’innocence, repousser l’injustice, et prouver leur pouvoir par leurs bienfaits. Si tous ceux qui sont nés dans cette classe imitaient cet exemple, la république serait moins tourmentée ; ils auraient eux-mêmes moins à se plaindre de la haine.

LII. Si nous ne pouvons obtenir de Chrysogonus qu’il se contente de nos biens et qu’il nous laisse la vie ; si, après nous avoir enlevé toutes nos propriétés personnelles, il veut encore nous ravir cette lumière qui est la propriété de tous les êtres ; si ce n’est pas assez que notre argent ait assouvi son avarice, et qu’il faille aussi que sa cruauté s’abreuve de notre sang, Sextus et la république n’ont plus d’asile et d’espoir que dans votre humanité et votre compassion. Soyez sensibles, et nous pouvons encore être sauvés. Mais s’il était possible que cette cruauté, qui pendant plusieurs années a fait tant de ravages dans Rome, eût aussi endurci vos cœurs, et qu’elle les eût fermés à la pitié, c’en est fait : il vaudrait mieux vivre parmi les bêtes féroces qu’au sein d’une société aussi barbare. Avez-vous donc survécu à tant de périls, avez-vous été choisis pour condam-