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tion, de toute sa puissance. Rien ne paraissait plus vraisemblable à des Grecs, qui peu auparavant, dans la même province, avaient vu Lélius intimement lié avec Flaccus ; et de plus l’autorité de Pompée, si justement respectée chez tous les peuples, est toute puissante dans une province que ses victoires viennent d’affranchir des pirates et de deux rois. Ajoutez que Lélius menaçait d’un appel en témoignage ceux qui ne voulaient point sortir de chez eux, et qu’il proposait à ceux qui ne pouvaient y rester de fournir libéralement aux frais de leur voyage. Ainsi un jeune noble, plein d’esprit, a déterminé les riches par la crainte, les pauvres par l’intérêt, les ignorants par la séduction : ainsi ont été obtenus ces beaux décrets qu’on est venu lire ; décrets qui n’ont pas été scellés de la foi du serment, qui n’ont pas été rendus après l’examen des opinions et des suffrages, mais en levant les mains et au milieu des clameurs d’une multitude ameutée.

VII. Qu’il est admirable l’usage que nous tenons de nos ancêtres, si nous y restons fidèles ! mais je ne sais comment il est tout près de nous échapper. Ces hommes sages et respectables ont voulu qu’on ne pût rien statuer dans l’assemblée même ; ils ont voulu que ce fût seulement après la séparation de l’assemblée, et dans un lieu à part, lorsque tous les citoyens auraient été divisés par tribus et par centuries, suivant leur ordre, leur classe et leur âge, lorsque les auteurs de la proposition auraient été entendus, lorsque la proposition même aurait été affichée et examinée plusieurs jours de suite ; ils ont voulu que toutes ces formalités fussent nécessaires pour l’adoption ou le rejet des décrets du peuple. Mais les républiques des Grecs sont gouvernées souverainement par des décisions tumultueuses prises dans une seule séance. Aussi, sans parler de la Grèce actuelle, depuis longtemps abattue et ruinée par le vice de son gouvernement, l’ancienne Grèce, jadis si florissante, n’a perdu son empire, ses richesses et sa gloire, que par la liberté sans bornes et la licence des assemblées. Quand une multitude ignorante et aveugle s’était réunie au théâtre, alors on entreprenait des guerres nuisibles, alors on donnait le pouvoir à des séditieux, alors on bannissait les meilleurs citoyens. Si ces désordres régnaient à Athènes lorsque cette ville était célèbre, et dans la Grèce, et chez presque tous les peuples, croyez-vous que les assemblées aient été bien réglées dans la Phrygie et dans la Mysie ? Les hommes de ces provinces troublent ordinairement nos assemblées : que font-ils, pensez-vous, lorsqu’ils sont entre eux ? Athénagoras de Cyme avait été battu de verges pour avoir osé, dans une famine, exporter du blé. On convoque une assemblée exprès pour Lélius. Athénagoras monte à la tribune ; il harangue les Grecs ses compatriotes ; sans rien dire du délit, il se plaint du châtiment ; on lève les mains ; le décret est rendu. Est-ce là un témoignage authentique ? Au sortir d’un long festin, et comblés depuis peu de largesses, les habitants de Pergame s’assemblent ; Mithridate, qui gouvernait cette multitude par de bons repas plutôt que par de bonnes raisons, leur déclare ce qu’il veut ; des cordonniers, des ceinturiers, l’approuvent à grands cris. Est-ce là le témoignage d’une ville ? J’ai amené de Sicile des témoins au nom des villes de cette province ; mais ils apportaient les témoignages d’un sénat lié par un serment, et non ceux d’une populace ameutée. Ce n’est donc plus à moi d’examiner chaque témoin ;