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vait être douteux, voulant éviter qu’un fermier public prononçât contre un fermier public, l’avait retranché du nombre des commissaires : il s’est contenu toutefois, et il a seulement laissé voir aux juges le désir qu’il avait de nuire à son ennemi.

V. S’ils eussent été Grecs, si nos mœurs et nos maximes n’eussent point prévalu sur le ressentiment et sur la haine, ils auraient dit tous qu’ils avaient été persécutés, dépouillés, ruinés. Un témoin grec se présente-t-il avec l’intention de nuire, il ne pense pas à la formule du serment, mais aux paroles qui pourront remplir son intention maligne. Ce qui, à son avis, est le plus honteux, c’est d’avoir du désavantage, d’être réfuté, d’être confondu : il s’arrange pour emporter ce qu’il désire ; il n’a pas d’autre but. Aussi ne choisit-on pas les plus honnêtes, les plus dignes de foi, mais les plus impudents et les plus grands parleurs. Vous, Romains, dans les moindres causes particulières, vous considérez le témoin avec une extrême attention : bien que vous connaissiez sa figure, son nom, sa tribu, vous croyez devoir examiner ses mœurs. Et celui d’entre nous qui dépose en justice, comme il se retient lui-même ! comme il mesure tous ses termes ! comme il appréhende de rien dire avec passion, avec emportement, plus ou moins qu’il ne faut ! Pensez-vous qu’il en soit de même des Grecs, qui regardent le serment comme une plaisanterie, qui se font un jeu d’une déposition ; pour qui votre estime n’est qu’une ombre ; qui, dans un mensonge effronté, trouvent crédit, profit, gloire, applaudissement ? Mais je n’en dirai pas davantage ; je ne finirais pas si je voulais m’étendre sur la fausseté des Grecs, en général, dans leurs dépositions. Je veux combattre les adversaires de plus près, et parler des témoins qu’ils produisent. Nous avons rencontré, Romains, un accusateur violent, un ennemi des plus fâcheux et des plus opiniâtres, j’espère qu’il n’en sera que plus utile à ses amis et à la république. Mais, certes, en se chargeant de cette affaire, il a montré trop de passion et d’animosité. Quel cortége dans ses informations ! je dis cortége, disons plutôt quelle armée ! quelle profusion ! quelles dépenses, quelles largesses ! Quoique je puisse tirer de là quelque avantage pour ma cause, je n’en parle toutefois qu’avec ménagement ; car Lélius, et c’est là ma crainte, Lélius, qui s’est porté à toutes ces démarches pour se faire honneur, pourrait croire que j’ai voulu le décrier et le rendre odieux.

VI. J’abandonnerai donc entièrement ce moyen de défense ; je vous prierai seulement, Romains, si le bruit public vous a informés de ces violences, de ces menaces, de ces troupes, de ces armes ; je vous prierai de vous rappeler quels motifs odieux ont fait régler dernièrement par une loi le cortège d’un accusateur dans ses informations. Mais laissant à part la violence, que dirai-je des autres moyens qu’on a mis en œuvre ? Comme ils ne sont pas contraires au droit et à l’usage des accusateurs, nous ne pouvons absolument les blâmer ; mais nous sommes forcés de nous en plaindre. D’abord, on a chargé plusieurs personnes de faire courir le bruit, dans toute l’Asie, que Pompée, ennemi déclaré de Flaccus, avait pressé Lélius, dont le père était intime ami du sien, de le traduire en justice, et que, pour le succès, il l’avait assuré de tout son crédit, de toute sa considéra-