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nobles n’ont triomphé que pour la gloire et le bonheur du peuple romain, mon langage doit plaire à tout ce qu’il y a de plus grand et de plus illustre dans Rome. S’il est un seul noble qui croie sa personne et sa cause outragées lorsqu’on blâme Chrysogonus, il se méprend sur sa cause, et lui-même n’a pas le sentiment de ce qu’il est. Car la résistance aux brigands ne peut qu’honorer la noblesse ; et ce lâche partisan de Chrysogonus, qui ne rougit pas de s’identifier avec un tel homme, se manque à lui-même lorsqu’il se sépare de l’ordre auguste auquel il appartient.

Au surplus, je le répète, c’est moi seul qui parle ici : l’intérêt public, l’excès de ma douleur et la cruauté de nos ennemis m’ont arraché ces plaintes. Mais Sextus n’est indigné de rien ; il n’accuse personne ; il ne se plaint pas d’avoir été dépouillé. Peu au fait de nos mœurs, occupé de l’agriculture, vivant dans les champs, cet homme croit que tout ce qu’on dit avoir été fait par l’ordre de Sylla est conforme aux usages, aux lois, au droit des gens. Son vœu est de se retirer absous d’une horrible accusation. Il déclare qu’une fois déchargé de cet affreux soupçon, il supportera patiemment la perte de tous ses biens. Il vous prie, Chrysogonus, il vous conjure, s’il ne s’est rien réservé des richesses immenses de son père, s’il n’en a rien soustrait, s’il vous a tout cédé, tout compté, tout pesé avec une exactitude scrupuleuse, s’il vous a remis l’habit dont il était couvert, l’anneau qu’il portait à son doigt, si enfin il n’a excepté que son corps, il vous conjure de permettre qu’après cet entier abandon, un homme innocent vive des bienfaits de ses amis.

L. Vous possédez mes terres ; une main étrangère pourvoit à ma subsistance : je ne me plains pas ; je sais souffrir et céder à la nécessité. Ma maison vous est ouverte ; elle m’est fermée : je le supporte. Vous disposez de mes nombreux esclaves ; je n’ai pas un seul homme pour me servir : je le souffre avec la plus parfaite résignation. Que voulez-vous de plus ? pourquoi me poursuivre ? pourquoi m’attaquer ? En quoi puis-je contrarier vos désirs, nuire à vos intérêts, vous porter ombrage ? Oui, Chrysogonus, pourquoi vous acharner à sa perte ? Est-ce pour ravir sa dépouille ? vous l’avez dépouillé. Est-ce par un sentiment de haine ? en quoi vous a offensé un homme dont vous avez envahi les biens, avant que sa personne vous fût connue ? Si vous concevez quelque crainte, que redoutez-vous d’un malheureux qui n’est pas même en état de repousser une injustice aussi atroce ? Cherchez-vous à perdre le fils, parce que les biens du père sont devenus les vôtres ? c’est paraître appréhender ce que vous devez craindre moins que personne, que les biens des proscrits ne soient un jour rendus à leurs enfants. Penser que la mort de Sextus est pour votre achat une garantie plus sûre que tout ce qu’a fait Sylla, ce serait faire outrage à ce grand homme. Mais si vous n’avez aucun motif pour vouloir qu’il subisse un sort aussi affreux ; s’il vous a remis tout ce qui était à lui, excepté sa vie ; si de tous ses biens paternels il ne s’est pas même réservé la place d’un tombeau, grands dieux ! quelle cruauté est la vôtre ! quelle dureté ! quelle atrocité ! Fut-il jamais un brigand assez féroce, un pirate assez barbare, pour aimer mieux