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Lucullus, qui a sauvé la ville de Cyzique, notre alliée fidèle, des attaques d’un roi puissant et du choc d’une guerre furieuse qui allait la dévorer. On publiera, on vantera dans tous les siècles, comme notre ouvrage, cette incroyable victoire remportée à Ténédos, par les armes du même Lucullus, où les généraux ennemis furent tués et leur flotte coulée à fond. Ces monuments, ces trophées, ces triomphes sont les nôtres : les génies qui les chantent, célèbrent la gloire du peuple romain. Notre poète Ennius fut cher au premier Scipion l’Africain ; on pense même que c’est sa figure en marbre que l’on voit dans le tombeau des Scipions ; mais assurément avec les héros de son poème, il éternise le nom du peuple romain. Caton, bisaïeul de celui qui est devant nous, y est élevé jusqu’au ciel ; c’est en même temps un hommage rendu à la vertu romaine. Enfin, quand tous ces grands hommes, les Maximus, les Marcellus, les Fulvius sont célébrés par ses vers, nous participons tous à leurs éloges. Aussi l’auteur, quoique né à Rudie, fut admis par nos ancêtres au rang des citoyens ; et celui-ci, déjà citoyen d’Héraclée, recherché par plusieurs autres villes, citoyen de Rome par nos lois, nous le rejetterions de notre sein !

X. Si l’on s’imagine que des vers grecs font moins d’honneur à leurs héros que des vers latins, on se trompe fort ; car les ouvrages grecs sont lus chez presque toutes les nations, et les livres latins sont renfermés dans les limites, assurément fort étroites, de l’Italie. Si donc nos belles actions n’ont d’autres bornes que l’univers, nous devons désirer que notre gloire et nos éloges parviennent jusqu’où ont pénétré nos armes. Cette récompense, la plus grande pour les peuples dont on célèbre les actions, est aussi, pour ceux qui combattent dans la vue de la gloire, le plus puissant motif d’émulation, au milieu des dangers et des fatigues de la guerre. Combien d’écrivains n’avait pas avec lui cet Alexandre le Grand pour raconter ses exploits ! Cependant, lorsqu’il arriva au promontoire de Sigée, il s’arrêta sur le tombeau d’Achille, et s’écria : « Heureux jeune homme qui as trouvé un Homère pour chanter ta valeur ! » Il avait raison ; car sans l’Iliade, le même tombeau qui enfermait le corps d’Achille aurait enseveli son nom. Eh quoi ! ce Romain, surnommé aussi le Grand, dont la fortune égale le mérite, ne donna-t-il pas, en présence de ses soldats, le droit de cité à Théophane de Mitylène, son panégyriste ? Et nos braves soldats, malgré, leur rudesse et leur simplicité, comme touchés de la douceur d’une gloire qu’ils semblaient partager avec leur général, n’y ont-ils pas applaudi par de vives acclamations ?

Croirais-je donc que, si Archias n’était pas citoyen par nos lois, il n’eût pu venir à bout d’obtenir ce titre de quelqu’un de nos généraux ? Sylla peut-être, qui accordait cette grâce à des Espagnols et à des Gaulois, l’aurait refusée à sa demande ? lui qui, dans une assemblée publique (nous l’avons vu nous-mêmes), ayant reçu d’un mauvais poëte du peuple un placet accompagné de quelques distiques, fit donner aussitôt en récompense à cet homme une partie des dépouilles qu’il vendait alors, mais à condition qu’il ne ferait plus de vers. Celui qui jugeait digne de