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dès ma jeunesse que rien dans la vie n’est vraiment désirable que ce qui est louable et honnête, et que pour l’acquérir il ne faut presque tenir aucun compte des tourments, de la mort, de l’exil, jamais, pour vous sauver, je n’aurais affronté tant et de si violents combats, ni les attaques journalières des mauvais citoyens. Mais tous les livres, mais la voix de tous les sages, mais toute l’antiquité, nous présentent une foule d’exemples qui, sans la lumière des lettres, seraient maintenant ensevelis dans les ténèbres. Combien d’images de grands hommes nous ont été laissées par les écrivains grecs et latins, moins comme objets d’admiration que comme modèles ! Je les ai toujours eues devant les yeux quand j’administrais la république, et je n’avais qu’à penser à ces illustres personnages pour régler sur cette idée mon âme et mon esprit

VII. Quoi ! me dira-t-on, ces grands hommes dont les lettres nous ont fait connaître les vertus, ont-ils été formés par ces études si vantées ? Je n’oserais l’assurer de tous, mais je ne serai pas embarrassé pour répondre. Sans doute il a existé des hommes d’un esprit supérieur, d’une vertu éminente, qui, sans le secours des lettres, par la disposition d’une nature presque divine, ont été par eux-mêmes sages et justes ; j’en conviens : j’ajoute même que souvent un heureux naturel sans étude a fait plus pour la gloire et lu vertu que l’étude sans la nature. Mais je soutiens en même temps que si aux qualités d’un heureux naturel se joignent celles que donnent l’étude et une instruction suivie, il nait de la le plus souvent je ne sais quoi d’éclatant et d’extraordinaire.

Tel fut, du temps de nos pères, ce divin personnage, Scipion l’Africain ; tels furent Lélius et Furius, ces rares exemples de modération et de sagesse ; tel fut cet illustre vieillard, le plus noble et le plus savant de ce temps-là, M. Caton. Assurément s’ils avaient cru les lettres inutiles pour la connaissance et la pratique de la vertu, jamais ils n’auraient appliqué leur esprit à ces nobles études.

Mais quand on n’envisagerait pas ce grand avantage, et que dans ces études on n’aurait en vue que le plaisir, vous n’en regarderiez pas moins, je pense, cette récréation de l’esprit comme la plus digne d’un homme et d’un citoyen libre. En effet, les autres amusements ne sont ni de toutes les heures, ni de tous les âges, ni de tous les lieux. Mais les lettres nourrissent la jeunesse, réjouissent les vieillards ; dans la prospérité elles nous servent d’ornement ; dans l’adversité, elles nous offrent un asile et une consolation : elles nous récréent chez nous, et ne nous gênent pas dehors ; elles passent la nuit avec nous, elles voyagent avec nous, elles nous suivent à la campagne.

VIII. Et quand nous ne pourrions y atteindre, ni goûter par nous-mêmes la douceur des lettres, nous devrions encore les admirer dans les autres. Qui de nous dernièrement fut assez dur, assez insensible pour n’être pas touché de la mort de Roscius ? Il était déjà vieux, et néanmoins telle était l’excellence, tel était le charme de son talent, qu’il nous semblait n’avoir jamais dû mourir. Ainsi il nous avait tous séduits par de simples mouvements du corps ; et nous ne serions pas même touchés des mouvements de l’âme, et de