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PLAIDOYER
POUR LE POÈTE A. LICINIUS ARCHIAS.

DISCOURS VINGT-CINQUIÈME.


ARGUMENT.

Archias, poëte grec, natif d’Antioche, vint à Rome, âgé de dix-sept ans, sous le consulat de Marius IV et de Catulus (an de Rome 652), et son talent le fit accueillir par plusieurs illustres familles, entre autres celle de Lucullus. Plus tard, il obtint, par l’entremise du grand général de ce nom, le droit de cité à Héraclée, ville de Lucanie, alliée du peuple romain. Peu après (an 605) la loi Plaulia Papiria donna le droit de cité romaine à tous ceux qui, inscrits comme citoyens dans une des villes alliées, et domiciliés en Italie, feraient, avant soixante jours, leurs déclarations au préteur. Archias, qui était dans les conditions de la loi, fit sa déclaration avant le terme prescrit, et prit de son protecteur le nom de Licinius.

Cependant, en vertu de la loi Papia, portée en 689, et qui bannissait de Rome les étrangers se donnant pour citoyens, Gratius, ou Gracchus, selon d’autres, attaqua Archias comme usurpant les droits de citoyen romain. Archias en effet n’avait pas été compris dans les recensements comme citoyen : il ne pouvait justifier de son titre de citoyen d’Héraclée, parce que les registres de cette ville avaient été brûlés.

Cicéron entreprit sa défense ; il suppléa aux registres d’Héraclée par le témoignage de Lucullus et les dépositions des habitants de cette ville : il prouva par les registres des préteurs qu’Archias avait fait sa déclaration selon le vœu de la loi ; que les recensements ayant eu lieu en son absence, on ne pouvait rien conclure contre lui de ce que son nom ne s’y trouvait pas. Archias était donc de droit citoyen romain.

Là ne se borne pas la défense. Cicéron avait à plaider la cause d’un poète. Il démontre donc qu’Archias, ne fût-il pas citoyen romain, mériterait de l’être par son talent. C’est dans cette seconde partie du plaidoyer que se trouve ce magnifique éloge des lettres ; si justement admiré. D’après un commentaire inédit, publié par Angelo Mai, le frère de Cicéron, Quintus, poète lui-même, et auteur de tragédies, présidait le tribunal.

Quant au talent d’Archias, quelques.épigrammes qui nous restent de ce poète ne suffisent pas pour nous en donner une idée. Probablement Cicéron l’a fort exagéré, d’abord dans l’intérêt de la cause, ensuite par l’espoir d’être loué à son tour dans les vers du poète.

Ce Discours paraît avoir été prononcé peu de temps après le consulat de Cicéron, en 692 ou au commencement de 693, avant le départ de Q. Cicéron pour sa province d’Asie.


I. S’il est en moi, juges, quelque talent, et je sens toute la faiblesse du mien ; si j’ai quelque habitude de la parole, dans laquelle j’avoue que je me suis assez exercé ; ou si le goût et l’étude des lettres, auxquelles je n’ai été étranger dans aucun temps de ma vie, m’ont donné quelque connaissance de cet art, c’est A. Licinius, pour lequel je parle, qui est en droit surtout d’en réclamer le fruit. En effet, du plus loin que je puis reporter mon esprit sur le passé, en remontant jusqu’aux premières années de ma jeunesse, je le vois qui m’introduit et me guide dans la carrière des lettres. Si donc cette voix, formée par ses conseils et par ses leçons, a été plus d’une fois salutaire aux citoyens, sans doute celui auquel je dois de pouvoir défendre et sauver les autres, doit attendre de moi, autant qu’il est en mon pouvoir, secours et protection.

Ne soyez pas étonnés de m’entendre parler ainsi d’un homme dont le talent s’est exercé dans un autre genre ; qui n’a pas fait, comme moi, de l’éloquence son art et sa profession : nous-mêmes nous n’avons pas toujours donné notre temps à cette étude. En effet, toutes les sciences qui servent à perfectionner l’humanité sont unies