Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/659

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

'entendre dire dans un jugement : Je ne le défendrais pas s’il avait conspiré. Aussi je ne dis point ce qui offenserait ; je dirai, dans une cause de conjuration, non pour l’autorité de la défense, mais pour mon propre honneur : Moi, qui ai découvert la conjuration, qui l’ai punie, non je ne défendrais pas Sylla, si je croyais qu’il fût complice. Je l’ai déjà dit, au commencement de ce discours, Romains ; au milieu des périls qui nous menaçaient tous, lorsque j’informais sur tout, que je recevais beaucoup de rapports, que, sans tout croire, je me défiais de tout ; je l’ai dit, je le répète, aucun indice, aucun soupçon, aucune lettre, ne m’ont rien appris contre Sylla.

XXXI. Je vous en atteste donc, dieux de la patrie, dieux pénates de Rome, qui présidez à cette ville, à cet empire, vous dont la puissance et la protection, sous mon consulat, ont sauvé cet empire, la liberté, le peuple romain, ces maisons et ces temples. C’est avec une âme libre et intègre que je défends P. Sylla ; je ne dissimule aucun crime dont je sois instruit, je ne défends ni ne protège aucun attentat contre le salut de tous. Consul, je n’ai rien découvert contre l’accusé, rien soupçonné, rien appris ; aussi, moi qui ai paru sévère contre certains conjurés, inexorable pour d’autres (en cela je me suis acquitté de ce que je devais à la patrie : désormais je me dois à mes sentiments habituels et à mon caractère), je suis aussi compatissant que vous, Romains ; je suis aussi doux qu’on peut l’être. Si j’ai été sévère de concert avec vous, on m’y a forcé ; j’ai arrêté la république sur le bord du précipice, j’ai soutenu la patrie presque submergée. Par compassion pour nos concitoyens nous avons été sévères ; alors c’était une nécessité : c’en était fait en une seule nuit du salut de tous, si l’on ne se fût armé de rigueur. Mais si j’ai été forcé par amour de la république de punir des scélérats, je suis porté par inclination à sauver des innocents. Romains, je ne vois dans Sylla rien qui soit digne de haine ; j’y vois bien des choses dignes de compassion. Ce n’est pas pour se relever de sa disgrâce qu’il supplie maintenant les juges, mais pour épargner à son nom et à sa famille la flétrissure d’un crime abominable. Car pour lui-même, absous par votre arrêt, quelle distinction, quels plaisirs peut-il espérer désormais, qui le réjouissent et le consolent ! Sa maison peut-être sera décorée ; peut-être il découvrira les images de ses aïeux. Il reprendra lui-même ses ornements et ses habits splendides. Tout cela, Romains, est perdu pour Sylla ; toutes les distinctions de son nom, de sa famille, de l’honneur qu’il avait obtenu, ont péri sous le coup fatal d’un seul jugement. Tout ce qu’il vous demande, c’est de n’être pas appelé le destructeur de la patrie, un traître, un ennemi de Rome ; de ne pas laisser à sa famille un nom déshonoré. Voilà ce qu’il craint, voilà ce qui l’inquiète. Il tremble que ce malheureux enfant ne soit nommé fils d’un conjuré, d’un scélérat traître à la patrie ; ce fils qui lui est plus cher que la vie, et à qui maintenant il ne peut transmettre son honneur dans tout son éclat, il craint de ne lui laisser qu’un souvenir éternel d’opprobre. Ce jeune enfant, Romains, vous demande qu’il lui soit permis de féliciter son père, sinon dans son ancienne fortune, au moins dans ses désastres. Les chemins des tribunaux et