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lettre que d’incroyables fureurs, conçues depuis deux ans, ont éclaté sous mon consulat, je démontre par là, selon toi, que P. Sylla était de la première conjuration. En effet, je suis homme à croire que Cn. Pison, et Catilina, et Varguntius, et Autronius, n’ont pu commettre aucun excès d’audace et de scélératesse, par eux-mêmes, et sans le secours de Sylla ? Quand même on aurait douté précédemment que Sylla eût résolu, comme tu l’en accuses, de tuer ton père, désigné consul, et de se rendre, aux calendes de janvier, dans la place publique, avec des licteurs, tu as toi même détruit ce soupçon, en prétendant qu’il avait ameuté contre ton père, des troupes d’ouvriers, pour faire nommer Catilina consul. Si je t’accorde ce point, tu conviendras avec moi que, soutenant les prétentions de Catilina, il n’a pas songé à recouvrer par la violence le consulat qu’un jugement lui avait fait perdre.

Le caractère de P. Sylla, Romains, répugne également à l’imputation d’un crime si grand, si atroce. En effet, après avoir détruit à peu près tous les griefs, je vais, contre l’usage ordinairement établi, parler enfin de la vie et des mœurs de l’accusé. J’ai voulu, avant tout, détruire une accusation grave, satisfaire l’attente du public, dire quelque chose de moi-même, puisque j’étais aussi accusé. Il faut maintenant que je vous rappelle à une pensée, vers laquelle la cause même, quand je n’en dirais rien, ramène naturellement vos esprits et vos cœurs.

XXV. Dans toute affaire grave et importante, on doit juger de ce que chacun a voulu, médité, entrepris, non d’après l’accusation, mais d’après les mœurs de l’accusé ; ear nul homme ne saurait se transformer tout à coup, ni changer en un instant de conduite ou de caractère. Sans chercher d’autres exemples, jetez en pensée un coup d’œil sur les hommes en particulier qui ont prit part à la conjuration. Catilina a conspiré contre la république. Répugna-t-il jamais à personne de croire un pareil dessein d’un homme livré dès l’enfance, non par l’emportement des passions et du crime, mais par goût, par habitude, à toutes sortes d’infamies, d’adultères, d’assassinats ? Qui fut surpris de voir périr en combattant contre sa patrie, celui qui semblait né pour la tourmenter de ses brigandages ? Peut-on se rappeler les liaisons de Lentulus avec les délateurs, ses débauches extravagantes, ses absurdes et sacrilèges superstitions, et s’étonner de ses projets criminels, de ses folles espérances ? peut-on songer à Céthégus, à son voyage en Espagne, au coup dont il frappa Metellus Pius, sans croire que la prison avait été construite exprès pour le punir ? Je passe tous les autres, car je n’en finirais pas. Je vous demande seulement de penser en vous-mêmes à tous ceux dont la complicité a été reconnue, vous verrez que chacun d’eux était condamné par sa propre vie avant de l’être par nos soupçons. Cet Autronius lui-même (puisque son nom est entièrement lié avec l’accusation présente) n’est-il pas convaincu par toute sa vie ? Toujours audacieux, remuant, emporté, nous l’avons vu, accablé d’adultères, se défendre, non-seulement par les paroles les plus inconvenantes, mais par des actes d’une violence brutale. Nous l’avons vu déposséder des propriétaires, tuer ses voisins, dépouiller les temples des alliés, essayer de