Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/652

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

attendre aucun de ses créanciers. Non, Romains, je n’ai jamais rien appréhendé de cette classe d’hommes, dans les temps les plus orageux de la république : ceux qui me. faisaient trembler, ceux dont il y avait tout à craindre, étaient ces hommes qui embrassaient si étroitement leurs possessions, qu’il eût été plus facile de séparer leurs membres d’avec leur corps. Cincius n’a jamais cru que des liens si tendres l’attachassent à ses terres : aussi a-t-il employé pour se mettre à l’abri du soupçon d’un crime affreux, et même de tous les discours de la malignité, non les armes, mais son propre patrimoine.

XXI. Quant à ce qu’ajouté l’accusateur, que Sylla a sollicité les habitants de Pompéi d’entrer dans la conjuration, dans ces complots criminels, je ne puis comprendre ce qu’il veut dire. Les habitants de Pompéi te semblent-ils, Torquatus, avoir pris part à la conjuration ? Qui l’a dit jamais ? Qui jamais en a eu le moindre soupçon ? Sylla, dis-tu, a jeté la discorde entre eux et les colons, afin qu’à la faveur de cette division, de ces dissentiments, il pût disposer à son gré de la ville et de ses habitants. D’abord toute cette querelle des habitants de Pompéi et des colons durait depuis longues années, lorsqu’elle a été remise à l’arbitrage des protecteurs de la ville : ensuite ceux-ci ayant pris connaissance de l’affaire ne trouvèrent aucune opposition de la part de Sylla. Enfin les citoyens mêmes de la colonie sont persuadés que Sylla n’a pas moins pris leur défense que celle des anciens habitants.

C’est ce que peut vous prouver, Romains, ce nombreux concours des premiers et des plus honorables citoyens de la colonie, qui assistent à ce jugement, qui sollicitent pour leur patron, leur défenseur, le gardien de leurs droits. S’ils n’ont pu le maintenir dans tout l’éclat de sa fortune et de sa dignité, ils souhaitent du moins, après l’accident qui l’accable, le défendre, et le sauver par votre secours. Les anciens habitants, ces hommes que n’épargnent pas nos accusateurs, lui témoignent le même zèle ; malgré leurs disputes avec les colons sur la jouissance d’une promenade et le droit de suffrage, ils n’ont eu qu’une même pensée pour le salut commun. Et je vois ici dans Sylla un mérite, ce me semble, bien remarquable. Quoiqu’il eût été chargé d’établir la colonie ; quoique les circonstances où se trouvait la république eussent séparé les intérêts des colons de ceux des anciens habitants, il s’est rendu si agréable et si cher aux uns et aux autres, qu’il paraît, non pas avoir dépossédé quelques-uns d’entre eux, mais leur avoir donné à tous un établissement durable.

XXII. Mais, dit Torquatus, ces gladiateurs, tous ces projets de violence, avaient pour but de soutenir la proposition de la loi Cécilia. Et ici il a invectivé avec véhémence contre Cécilius, citoyen aussi modeste que distingué. Je ne dirai qu’un mot de sa vertu et de sa fermeté. Dans cette loi qu’il proposait, non pour faire cesser, mais pour adoucir la disgrâce d’un frère, il a cherché les intérêts de son frère ; mais il n’a pas voulu combattre contre la république : il a proposé sa loi, poussé par son amour fraternel ; il s’est désisté sur les représentations de Sylla lui-même. Ici donc on accuse Sylla à cause de Cécilius, tan-