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l’accusateur est payé : Éucius lui-même en a fait l’aveu.

XLVI. (Lacune considérable.)

Les autres se croient heureux quand ils possèdent une terre dans le pays de Salente, ou dans le Bruttium, d’où ils peuvent recevoir des nouvelles trois fois au plus dans l’année. Mais lui, propriétaire d’une superbe maison sur le mont Palatin, il a pour ses délassements une campagne charmante, aux portes de Rome ; il possède une foule de riches domaines, tous dans les environs de la capitale. Sa maison est remplie de vases de Corinthe et de Délos ; on y voit entre autres ce bassin fameux que ces jours derniers, dans une vente, il s’est fait adjuger à si haut prix, que les passants croyaient qu’il s’agissait d’un fonds de terre. Pour vous former une idée de la quantité d’argenterie, de tapis, de tableaux, de bronzes et de marbres qui se trouvent chez lui, calculez tout ce qu’à la faveur du trouble et du brigandage, on a pu enlever d’une infinité de maisons opulentes, pour l’entasser dans une seule ! Dirai-je quelle est la multitude de ses esclaves et la diversité de leurs emplois ? Je ne parle pas ici des arts vulgaires, des cuisiniers, des pâtissiers, des porteurs. La troupe seule de ses musiciens est si nombreuse que sans cesse tous les alentours retentissent du fracas bruyant des instruments, des voix et des fêtes qu’il donne pendant la nuit. Quelles dépenses, quelles profusions ! quels festins ! honnêtes, sans doute, dans une telle maison, disons mieux, dans ce repaire de toutes les débauches et de toutes les infamies. Et lui-même, vous voyez comment, les cheveux artistement compassés et parfumés d’essences, il voltige dans toutes les parties du forum, menant à sa suite une foule de protégés, revêtus de la toge. Vous voyez encore quelle est l’insolence de ses regards et l’orgueil de ses mépris. Il croit avoir seul en partage la richesse et la puissance. Si je voulais vous dévoiler tout ce qu’il fait et tout ce qu’il prétend, je craindrais que les hommes peu instruits des affaires ne me supposassent l’intention d’attaquer la cause et la victoire des nobles, quoique cependant je sois en droit de blâmer ce qui peut me sembler répréhensible dans leur parti ; car personne ne croira que j’aie été jamais contraire à la cause de la noblesse.

XLVII. Ceux qui me connaissent savent que le seul vœu que j’aie formé dans ma simple et modeste position était le retour de la concorde, et que, du moment où j’ai vu la réconciliation impossible, tous mes vœux ont été pour ceux qui ont vaincu. Qui ne voyait pas que c’était un combat entre la bassesse et la grandeur ? Dans cette lutte scandaleuse on ne pouvait, sans être un mauvais citoyen, ne pas se joindre à ceux dont le triomphe assurait à la république sa dignité au dedans et sa considération au dehors. Tout enfin est terminé, et chacun est rentré dans ses honneurs et dans ses droits. Je m’en félicite, je m’en réjouis, et je sens que nous devons ces heureux succès à la bienveillance des dieux, au zèle du peuple romain, à la sagesse, aux talents militaires et à la fortune de Sylla. On a sévi contre ceux qui ont opposé une résistance opiniâtre : je ne dois pas y trouver à redire. Les hommes qui se sont signalés par des services éclatants en ont reçu la récompense. Rien de