Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/646

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’aucun autre, il m’aida de son zèle, de ses lumières, de ses conseils, et la force de son âme triomphait de la faiblesse de son corps. Vois-tu, Torquatus, comme je t’enlève à l’affection subite des méchants, et te réconcilie avec tous les gens de bien qui te chérissent, qui te comptent dans leurs rangs, qui t’y retiendront toujours ; et si par hasard tu déclarais contre moi, ils ne te permettraient pas pour cela de quitter leur parti, celui de la république, d’oublier ton rang et ta dignité.

Mais je reviens à la cause ; et je vous en atteste, Romains, c’est lui qui m’a imposé la nécessité de parler si longtemps de moi-même. Si Torquatus n’avait accusé que Sylla, je n’aurais eu qu’à défendre l’accusé ; mais puisqu’il a invectivé contre moi dans tout son discours, et qu’il a voulu dès le principe, comme je le disais, ôter tout crédit à ma défense, quand même cette injure personnelle ne m’obligerait pas de répondre, l’intérêt de ma cause aurait exigé de moi cette justification.

XIII. Sylla, dis-tu, a été nommé par les Allobroges. Qui le nie ! Mais lis la dénonciation, et vois comment il a été nommé. Ils déclarèrent que L. Cassius leur avait nommé Autronius avec les autres comme étant ses complices. Je le demande, Cassius a-t-il nommé Sylla ? Jamais. Les Allobroges disent avoir demandé à Cassius quels étaient les sentiments de Sylla. Voyez, Romains, le discernement des Gaulois. Ils ne connaissaient ni la vie, ni le caractère de ces deux hommes ; ils avaient seulement appris qu’ils avaient éprouvé la même disgrâce, et ils demandèrent s’ils étaient dans les mêmes sentiments. Que s’en suivit-il ? Si Cassius eût répondu que Sylla pensait et agissait comme lui, je ne croirais pas que sa réponse pût former une charge contre Sylla. Pourquoi ? Parce qu’un homme qui voulait exciter des barbares à la révolte, ne devait pas affaiblir leurs soupçons, et justifier ceux qu’ils soupçonnaient ; Cassius ne répondit pas cependant que Sylla fût de la conjuration. Il n’est pas probable en effet, qu’après avoir nommé les autres de lui-même, il n’eût fait mention de Sylla que lorsqu’on le lui aurait rappelé par une question. A moins qu’on ne croie que le nom de Sylla ait pu échapper au souvenir de Cassius, quand sa noblesse, son désastre, les débris de son ancienne fortune, n’auraient pas eu autant d’éclat, le nom d’Autronius lui aurait rappelé celui de Sylla. Et cet homme qui, je l’imagine, pour déterminer les Allobroges, recueillait les noms les plus imposants des chefs de la conjuration, et qui savait que les nations étrangères se laissent entraîner surtout par de grands noms, n’aurait nommé Sylla qu’après Autronius ! D’ailleurs on ne persuadera jamais à personne que les Gaulois, entendant nommer Autronius, aient cru devoir, à cause de la conformité d’infortune, questionner Cassius au sujet de Sylla ; et que Cassius, supposé que Sylla eût été complice du même crime, n’eût pas songé à lui, même lorsqu’il nommait Autronius ?

Mais enfin qu’a répondu Cassius au sujet de Sylla ? Qu’il ne savait rien de positif. Ce n’est pas le justifier, dit Torquatus. J’ai déjà dit que, même eût-il nommé Sylla, seulement lorsqu’on le questionna sur son compte, je ne croirais pas que sa réponse pût être une charge contre Sylla. Mais, suivant moi, dans les révélations et les