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mettent. Je crois en effet que la loi a fixé les kalendes de juin, comme le terme des proscriptions et des ventes. Or, l’assassinat de Roscius et la vente prétendue de ses biens sont postérieurs de plusieurs mois. Certes, ou cette vente n’a pas été inscrite sur les registres publics, et ce fourbe nous joue plus hardiment que nous ne le croyons, ou les registres ont été falsifiés ; car il est certain que les biens n’ont pu être vendus en conséquence de la loi. Je sens que je préviens le temps de cet examen, et que je prendrais le change, en m’occupant d’une bagatelle, quand je dois penser à sauver la vie de Sextus. La perte de sa fortune n’est pas ce qui l’inquiète ; le soin de ses intérêts ne l’occupe pas. La misère n’a rien qui l’effraye, pourvu qu’il repousse la calomnie et qu’il soit absous de cette horrible accusation.

Aussi dans le peu de choses qui me restent à dire, ne pensez pas que je parle seulement au nom de Sextus. Ce n’est pas lui qui se plaint de ces atrocités révoltantes et de ces attentats, dont nous pouvons tous devenir les victimes. C’est moi qui les dénonce, et je voudrais pouvoir exprimer toute l’horreur qu’ils m’inspirent. Je renvoie à la fin de mon discours ce que je dois ajouter dans l’intérêt de Sextus, ce qu’il veut que je dise encore pour lui, et les conditions dont il se contente.

XLV. Pour le moment, j’écarte mon client, et c’est en mon nom que j’interroge Chrysogonus. Pourquoi a-t-on vendu les biens d’un homme irréprochable, d’un homme qui n’était pas compris dans la loi, puisqu’il n’a été ni proscrit, ni tué dans les rangs ennemis ? pourquoi la vente s’est-elle faite longtemps après l’époque fixée par la loi ? pourquoi ces biens ont-ils été adjugés à si vil prix ? Vainement, à l’exemple de ses pareils, l’affranchi Chrysogonus voudrait tout rejeter sur son ancien maitre. Personne n’ignore que beaucoup de gens ont profité des grandes occupations de Sylla, pour commettre des injustices qu’il n’a pas sues et qui ont échappé à ses yeux.

Sans doute il eût mieux valu que rien n’échappât à sa vigilance, mais la chose était impossible. Le maître des dieux, Jupiter lui-même, dont la volonté souveraine gouverne le ciel, la terre et la mer, souffre quelquefois que l’impétuosité des vents, que la violence des orages, que des chaleurs excessives et des froids rigoureux nuisent aux hommes, ruinent les villes, détruisent des moissons : nous ne l’accusons pas de ces calamités ; nous les regardons comme des accidents produits par des causes naturelles ; mais nous recevons comme un don de sa bienfaisance les avantages dont nous jouissons, la lumière qui nous éclaire et l’air que nous respirons. Faut-il s’étonner que Sylla n’ait pu tout apercevoir, lorsque lui seul gouvernait la république, réglait les destins de l’univers, et affermissait par les lois la majesté de l’empire établi par les armes ? Il faudrait donc aussi trouver étrange que l’intelligence humaine n’ait pas fait ce que la puissance divine n’a pu faire.

Mais ne parlons point du passé. Ce qui se fait aujourd’hui ne démontre-t-il pas que Chrysogonus est l’âme et le mobile de tout ? C’est par lui que Sextus a été dénoncé ; c’est par lui que