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dépositions ? Ils étaient convaincus que l’énormité de son forfait les obligeait non seulement à ne point le cacher, mais à le découvrir et à le montrer au grand jour.

III. Pourquoi donc s’étonner, Torquatus, que je défende cette cause de concert avec ceux qui, comme moi, se sont refusés à défendre les autres ? Veux-tu que moi seul je passe pour un être sauvage, dur, inhumain, et plus que personne intraitable et cruel ? Si tu prétends que les actes de mon consulat m’imposent un pareil rôle pour le reste de ma vie, tu te trompes, Torquatus. La nature m’a fait sensible ; la patrie m’a rendu sévère. Ni la patrie ni la nature n’ont voulu que je devinsse cruel. Enfin, ce rôle de violence et de rigueur que m’avaient imposé les circonstances et la république, mon inclination et la nature me l’ont déjà fait abandonner. La patrie un moment a exigé de moi la sévérité ; la nature, dans tout le reste de ma vie, me rappelle à l’humanité, à la douceur. Tu n’as donc aucune raison de vouloir me retrancher seul de la société de ces illustres personnages. Les bons citoyens ont tous les mêmes devoirs, tous une même cause. Ne sois donc plus surpris à l’avenir de me voir dans le parti où tu les sauras rangés. Car je n’ai point dans la république de cause à part. Il fut un temps où agir était plus mon affaire que celle de tout autre ; mais la douleur, les alarmes, les dangers, tous les partageaient avec moi. Non, je n’aurais pu me mettre à votre tête pour vous sauver, si personne n’eût voulu me suivre. Il est donc nécessaire que ce qui n’était propre qu’à moi seul, étant consul, me soit commun avec les autres, à présent que je suis redevenu simple particulier. Je le dis, non pour rejeter sur d’autres l’odieux de mes actions, mais pour leur en faire partager le mérite : je ne veux associer personne à mes dangers ; ma gloire est commune à tous les gens de bien.

Tu as déposé contre Autronius, dit-il ; et tu défends Sylla. Tout se réduit à ceci, Romains : si je suis réellement coupable de légèreté et d’inconséquence, on ne devait pas alors en croire mon témoignage, on ne doit point aujourd’hui écouter ma défense ; mais si je suis en même temps dévoué aux intérêts publics, scrupuleux observateur de mes engagements particuliers, jaloux de l’estime des gens de bien, l’accusateur est mal venu à dire que je défends Sylla après avoir chargé Autronius par ma déposition. Il me semble que j’apporte dans les causes, non-seulement du zèle pour les défendre, mais quelque réputation et quelque autorité. J’userais modérément de ces avantages, et je ne songerais nullement à m’en prévaloir, si l’accusateur ne m’y avait forcé.

IV. Tu établis, Torquatus, deux conjurations : l’une que l’on dit avoir été formée sous les consuls Lépidus et Volcatius, lorsque ton père était consul désigné ; l’autre, sous mon consulat. Sylla, dis-tu, fut complice de toutes les deux. Je n’assistai point, tu le sais, aux conseils de ton père, cet homme ferme, cet excellent consul ; malgré mes liaisons intimes avec toi, je n’ai eu, tu le sais, aucune part à ce qui se faisait et se disait alors : probablement, c’est que je n’étais pas encore livré entièrement aux affaires publiques ; que je n’étais pas encore parvenu au suprême honneur, objet de mes vœux ; que mes démar-