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sius, ce citoyen si brillant, si distingué, n’est-elle pas blâmée par toi, tandis que tu blâmes la mienne ? S’il est vrai que Sylla ait formé le projet de mettre l’État en combustion, d’anéantir cet empire, de détruire Rome, ces crimes doivent-ils me causer plus de douleur et d’indignation qu’à Hortensius ? Suis-je obligé, en un mot, de juger plus sévèrement qui je dois, dans de pareilles causes, attaquer ou secourir, défendre ou abandonner ?

II. Oui, dit-il, car c’est toi qui as fait les recherches, c’est toi qui as découvert la conjuration. En parlant ainsi, Torquatus ne voit pas que celui qui l’a découverte a travaillé pour dévoiler aux yeux de tout le monde ce qui auparavant était caché. Si donc la conjuration a été découverte par moi, elle est aussi bien connue d’Hortensius que de moi. Et, Torquatus, quand tu vois un personnage de ce rang, de cette considération, de cette vertu, de cette prudence, ne pas craindre de défendre Sylla comme innocent, je te le demande, pourquoi Hortensius aura-t-il pu se charger de cette cause, tandis qu’elle me serait interdite ? Je te demande encore, puisque tu crois devoir me blâmer de défendre Sylla, ce que tu penses de ces grands hommes, de ces citoyens illustres qui par l’intérêt qu’ils prennent à la cause et par leur rang distingué, donnent de l’éclat à ce jugement, honorent l’assemblée et défendent l’innocence de Sylla. Il n’y a pas en effet qu’une seule manière de défendre un accusé, qui est de plaider pour lui : non, tous ceux qui assistent au jugement, qui s’inquiètent pour l’accusé, qui désirent le voir absous, le défendent réellement de tout leur pouvoir, de tout leur crédit. Aurais-je donc refusé de prendre place parmi ces hommes, la lumière et l’ornement de notre patrie, quand c’est par leur secours que je me suis élevé, après bien des travaux et des périls, et au rang suprême, et à la condition la plus honorable ?

Apprends donc, Torquatus, quel est celui que tu attaques ; si tu es choqué de ce que, moi, qui dans les causes de ce genre n’ai défendu personne, maintenant je n’abandonne pas Sylla, rappelle-toi la conduite de tous ceux qui s’intéressent pour lui : tu verras que sur lui comme sur les autres nous n’avons eu tous qu’une seule et même manière de penser. Qui de nous a sollicité pour Varguntéius ? Personne, pas même Hortensius, qui cependant l’avait seul défendu autrefois dans une accusation de brigue. Mais il ne se croyait plus engagé par aucun lien envers celui qui par un si grand crime avait rompu le lien de tous les engagements. Qui de nous a cru devoir défendre Servius Sylla ? Publius ? M. Léca ? Cornélius ? Lequel des citoyens ici présents les a aidés de leur présence ? Personne. Pourquoi ? C’est que dans les autres causes, les gens de bien ne croient pas devoir abandonner même des coupables qui ont avec eux quelques liaisons ; mais dans une accusation comme celle-ci, ce ne serait pas seulement commettre une faute de légèreté ; ce serait en quelque sorte s’exposer à la contagion des crimes, que de défendre un homme soupçonné de parricide envers la patrie. Et Antronius ? ses compagnons, ses collègues, ses anciens amis (et ils étaient en grand nombre), tous ces personnages, les premiers de l’État, ne l’ont-ils pas abandonné ? la plupart même ne l’ont-ils pas chargé par leurs