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PLAIDOYER POUR P. SYLLA.

DISCOURS VINGT-QUATRIÈME.


ARGUMENT.

Publius Cornélius Sylla, neveu du dictateur, avait été désigné consul, l’an de Rome 688, avec P. Autronius Pétus. Accusés tous deux de brigue, Sylla par le jeune L. Torquatus, Autronius par L. Aurélius Cotta, ils furent condamnés, et L. Manlius Torquatus père de l’accusateur, et L. Aurélius Cotta furent nommés consuls à leur place.

L’année qui suivit le consulat de Cicéron (an de Rome 692), le même Torquatus, fils du consulaire, accusa Sylla d’avoir été de complicité avec Catilina dans une première conspiration formée peu après l’échec de Sylla et d’Autronius, puis dans la seconde, découverte par Cicéron.

Hortensius avait justifié Sylla sur le chef de la première conjuration : Cicéron le défendit sur le crime de la seconde. Il eut en outre à se défendre lui-même. Torquatus, quoique son ami, avait cru devoir, dans l’intérêt de sa cause, invectiver longuement contre ce qu’il appelait le despotisme de Cicéron ; il lui reprochait comme une inconséquence, de défendre un homme accusé de conjuration, après avoir découvert et puni la conjuration.

Sylla fut absous, puisqu’il accusa Gabinius en 700 : accusation que lui disputa en vain son éternel ennemi L. Torquatus. (Epist. ad Quint, III, 3.)


I. Je voudrais surtout, Romains, que P. Sylla eût pu conserver la splendeur première de son rang, et après sa disgrâce, tirer quelque fruit de sa modération ; mais puisque, par un sort malheureux, la jalousie commune contre ceux qui briguent le pouvoir, et la haine qu’on portait à Autronius en particulier, l’ont fait déchoir du rang suprême ; puisque, au milieu des débris de son ancienne fortune, malheureux, accablé, il a trouvé des ennemis dont la fureur ne pouvait être assouvie même par son supplice ; quelque affligé que je sois de ses infortunes, parmi tous ses maux un seul me sera moins pénible : une occasion m’est offerte de rappeler aujourd’hui aux gens de bien ma douceur, mon humanité, autrefois bien connues de tous, et dont je m’étais un moment presque départi ; et de faire convenir les méchants, les citoyens perdus de crimes, vaincus, abattus par des coups redoublés, que si j’ai été énergique et ferme lorsque la république était sur le bord de l’abîme, à présent qu’elle est sauvée, je suis redevenu doux et sensible. Et comme L. Torquatus, un ami de ma famille, un intime, a cru qu’en ne ménageant point notre amitié et nos rapports dans son accusation, il affaiblirait l’autorité de ma défense, je veux que la justification de mon client soit en même temps celle du motif qui m’a fait prendre en main cette cause. Je ne tiendrais pas aujourd’hui un pareil langage, s’il ne s’agissait que de mes intérêts personnels ; car j’ai souvent eu, j’aurai souvent occasion de faire mon apologie ; mais de même que l’accusateur s’est flatté que plus il ôterait de poids à mes paroles, plus il diminuerait les ressources de celui que je défends ; moi aussi je pense que, si je puis vous rendre raison de ma conduite, et vous prouver que défendre Sylla n’est pas une inconséquence, je rendrai en même temps sa cause meilleure à vos yeux.

Et d’abord, L. Torquatus, je te le demande, pourquoi me sépares-tu de tous ces illustres citoyens, les premiers de la république, qui s’intéressent à Sylla ? Pourquoi m’interdis-tu le droit de le défendre ? Pourquoi la conduite d’Horten-