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XLI. Si votre arrêt (et puisse Jupiter détourner ce présage ! ), si votre arrêt le condamne, où l’infortuné cherchera-t-il un refuge ? Dans sa maison ? Mais la noble image de son père qu’il voyait, il y a peu de jours, sourire joyeuse au triomphe de son fils, il la verra douloureusement attristée de sa honte, et pleurant sur lui. Auprès de sa mère ? Mais la malheureuse qui dans son fils embrassait naguère un consul, tremble et frémit de ne plus même le revoir citoyen. Que dis-je ? faut-il parler de mère ou de maison pour celui que la peine nouvelle infligée par la loi, prive à jamais de sa maison, de sa mère, de la présente et de la vue de tous les siens ? L’infortuné ! Il ira donc en exil ? Mais dans quels lieux ? Sera-ce en Orient où, pendant plusieurs années, comme lieutenant de Lucullus, il s’est signalé à la tête de nos armées par les plus brillants exploits ? Quelle douleur de retourner, la honte sur le front, dans un pays d’où l’on est revenu couvert de gloire ! Ira-t-il se cacher à l’autre extrémité de la terre, pour que la Gaule transalpine, qui naguère se voyait avec bonheur soumise à son autorité suprême, le revoie proscrit et soit témoin de ses larmes ? Et dans cette province, comment pourra-t-il soutenir la vue de C. Muréna, son frère ? Pour l’un, quelle douleur ! pour l’autre, quel profond chagrin ! Comme ils mêleront leurs larmes ! quel bouleversement de fortune, quel changement de langage, lorsqu’en ces lieux où peu de jours auparavant des courriers et des lettres publiaient son élévation au consulat, et d’où ses amis et ses hôtes sont accourus à Rome pour le féliciter, il paraîtra soudain, apportant lui-même la nouvelle de sa disgrâce ?

Si, dans ce pénible tableau, tout est deuil et désolation ; si tant de douleur répugne à votre douceur et à votre humanité, conservez à Muréna, juges, le bienfait du peuple romain ; rendez à la république son consul ; accordez cette grâce à la vertu du fils, à la mémoire du père, à son nom, à sa famille, à l’honorable municipe de Lanuvium, dont vous avez vu les habitants désolés assister en foule à ces débats. N’enlevez pas au culte héréditaire de Junon Conservatrice, à qui tous les consuls doivent sacrifier, un consul né presque dans son temple, et qu’elle regarde comme le sien. Pour moi, juges, si ma recommandation a quelque poids et mon témoignage quelque autorité, consul moi-même, je vous recommande un consul plein d’amour pour l’ordre, de dévouement pour les citoyens, d’énergie contre la sédition, de courage à la guerre, de haine enfin contre le complot qui aujourd’hui ébranle les fondements de la république : oui, tel sera Muréna, j’ose vous le promettre et en prendre ici le solennel engagement.