Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/631

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contre lequel s'est armée votre prévoyance et celle de tous les gens de bien qui vous ont engagé à demander cette magistrature. Tous ces complots ourdis depuis trois ans, depuis que L. Catilina et Cn. Pison ont formé le projet d'égorger tout le sénat, c'est en ces derniers mois, c'est en ces jours-ci, c'est à l'heure même qu'ils éclatent. Est-il un seul lieu, juges, un seul jour, une nuit, un moment où la providence des dieux, plus encore que ma vigilance, ne m'ait soustrait et arraché aux piéges et aux poignards des assassins? Et ce n'est pas moi personnellement qu'ils attaquent; ils veulent se débarrasser du consul dont les soins garantissent la république de leurs coups. Et vous-même, Caton, ils se déferaient de vous à tout prix, s'ils le pouvaient. Croyez-moi, c'est là le but de leurs manœuvres et de leurs complots. Ils voient ce qu'il y a en vous de courage, de talents, de crédit, de dévouement à soutenir la république; mais ils se flattent qu'après avoir dépouillé la puissance tribunitienne de l'assistance et de la protection consulaire, ils viendront plus facilement à bout d'un tribun faible et désarmé. Ils ne craignent point qu'on nomme un autre consul, assurés qu'ils sont que la nomination dépend de vos collègues; mais ils espèrent que l'illustre Silanus leur sera livré sans collègue, vous sans consul, et la république sans défense.

Au milieu de conjonctures si critiques et de périls si menaçants, c'est à vous, Caton, qui êtes né pour la patrie, et non pour vous ni pour moi, d'examiner ce qu'il faut faire; de vous conserver dans le gouvernement un appui, un défenseur, un digne soutien, un consul sans ambition, et tel que les circonstances le demandent, intéressé par sa position à aimer la paix, capable par ses talents de faire la guerre, par sa résolution et son expérience d'exécuter tout ce qu'exigera le salut de la république.

Au reste, juges, c'est surtout à vous que sont remis de si précieux intérêts: c'est la cause de la république que vous jugez; c'est de vous que ses destinées dépendent.

XXXIX. Si Catilina et la troupe des scélérats qu'il a emmenés avec lui, pouvaient prononcer dans cette affaire, ils condamneraient Muréna; ils le feraient périr, s'ils disposaient de sa vie. Car il importe à leurs projets que la république soit privée d'appui; que le nombre des généraux capables de résister à leur fureur, soit réduit; et que l'éloignement d'un adversaire redoutable laisse aux tribuns plus de facilité pour exciter la discorde et la sédition. Et des magistrats choisis dans les deux premiers ordres de l'État, comme les plus vertueux et les plus sages, pourraient porter dans cette affaire le même jugement que cet infâme gladiateur, ce cruel ennemi de la république! Croyez moi, juges, ce n'est pas seulement sur le sort de Muréna, c'est aussi sur le vôtre que vous allez prononcer. Nous touchons à une crise terrible; nous n'avons plus de moyens de réparer nos pertes, et de nous relever de notre chute. Loin d'affaiblir les dernières ressources qui nous restent, il faut, s'il est possible, nous en créer de nouvelles. L'ennemi n'est pas sur les bords de l'Anio, ce qui parut un si grand danger dans la guerre Punique; il est dans nos murs, il est dans le forum, il est (dieux immortels! je ne puis le dire sans gémir) dans le sanctuaire de la république, au milieu même du sénat! Fassent les