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positions que je vins à bout de faire rejeter par la majorité du sénat, vous aient fait peu de tort ? Vous aviez demandé la confusion des suffrages, la remise en vigueur de la loi Manilia, l’abolition de toute distinction de mérite, de crédit et de rang. C’est avec une véritable douleur que des citoyens honorables, considérés dans leur cité et dans leurs municipes, ont vu un homme de votre caractère vouloir faire ainsi disparaître tous les degrés de mérite et de considération. Vous vouliez encore que les juges fussent au choix de l’accusateur, afin que les haines sourdes qui se cachent aujourd’hui sous le voile d’inimitiés secrètes, pussent éclater contre les meilleurs citoyens. Toutes ces mesures vous ouvraient la voie de l’accusation, mais vous fermaient celle du consulat.

Enfin voici le coup le plus terrible que vous ayez porté à vos prétentions, comme je vous en avertis alors ; et Hortensius, le plus ingénieux et le plus éloquent des hommes, vous l’a prouvé par d’excellentes raisons. C’est ce qui rend ma tâche plus difficile encore, puisque, venant à parler après lui, après un homme aussi distingué que Crassus, par la considération qui l’entoure, par son zèle et son talent, je n’avais point à traiter une partie spéciale de la cause, mais à dire sur l’ensemble ce que je jugerais à propos. Forcé de reproduire les mêmes idées, je ne puis que répéter, juges, ce que dans votre sagesse vous vous êtes déjà dit à vous-mêmes.

XXIV. Et cependant, Servius, quel coup mortel n’avez-vous pas porté à vos prétentions, quand vous avez fait craindre au peuple romain d’avoir Catilina pour consul, en paraissant abandonner votre candidature pour préparer une accusation ? Chacun vous voyait faire des enquêtes ; on remarquait votre air soucieux, la tristesse de vos amis, vos recherches, vos démarches pour trouver des preuves et des témoins, vos conférences avec vos assesseurs. De pareils soins répandent des nuages sur le front des candidats. Cependant Catilina marchait l’air joyeux et triomphant, escorté d’une nombreuse jeunesse, environné de délateurs et d’assassins, fier de l’appui de ses satellites et des promesses qu’il se vantait d’avoir reçues de mon collègue, et traînant à sa suite une armée de colons d’Arrétium et de Fésules. Dans ce ramas composé d’éléments si divers, on distinguait des hommes qu’avaient frappés les désastres du temps de Sylla. Leur chef, la fureur peinte sur le visage, le crime dans les yeux et la menace à la bouche, se croyait certain du succès, et regardait déjà le consulat comme une proie assurée. Il dédaignait Muréna ; il voyait dans Sulpicius un accusateur et non un concurrent ; il lui déclarait la guerre et menaçait la république.

XXV. Dans ces conjonctures, quel effroi pour les gens de bien, quel désespoir pour la république, s’il eût été nommé consul ! Ne me forcez point de retracer ces cruels souvenirs, ils sont présents à vos esprits. Vous vous souvenez de la terreur qui