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lui des jeux dont certains bruits et les propos intéressés de ses compétiteurs avaient entretenu l’espérance ; ensuite les soldats qui, dans la province et pendant sa lieutenance, avaient été témoins de sa valeur et de sa générosité, n’étaient pas encore revenus à Rome. La fortune lui ménageait ces deux avantages pour le consulat. Car l’armée de Lucullus, présente à Rome pour le triomphe de son général, appuya les prétentions de Muréna, et sa préture lui a fourni le moyen de donner avec éclat ces jeux qu’on réclamait de lui avant l’élection. Trouvez-vous que ce soient là des avantages d’un faible secours pour obtenir le consulat ? Les soldats, dont la faveur est déjà si puissante à cause de leur nombre et du crédit qu’ils ont sur leurs amis, exercent encore par leurs suffrages une grande influence sur le peuple romain ; car ce sont des guerriers qu’on choisit dans les comices consulaires, et non des interprètes de mots. C’est une recommandation bien puissante que celle-ci : « Il m’a soigné dans mes blessures, il m’a donné part au butin ; c’est sous sa conduite que nous avons forcé le camp ennemi, que nous avons livré bataille ; jamais il n’a imposé aux soldats des travaux qu’il ne partageât lui-même ; son bonheur est digne de son courage. » Quel pouvoir de pareils discours n’ont-ils pas sur l’opinion et sur les esprits des hommes ? Et si telle est l’autorité de la religion dans les comices, que le choix de la première centurie a toujours été regardé comme un augure, doit-on s’étonner que la réputation de bonheur dont jouissait Muréna ait déterminé son élection ?

XIX. Si pourtant ces titres, tout puissants qu’ils sont, vous paraissent frivoles, et que vous préfériez les suffrages de la ville à ceux de l’armée : daignez au moins ne pas tant mépriser l’élégance des jeux et la magnificence des spectacles qui ont si bien servi Muréna. Ai-je besoin de dire combien les fêtes ont d’attraits pour le peuple et la multitude ignorante ? Rien de moins surprenant, et cela suffirait sans doute, puisque c’est le peuple et la multitude qui composent les comices. Il ne faut donc pas s’étonner que la magnificence des jeux qui plaît tant au peuple, l’ait rendu favorable à Muréna. Si nous-mêmes, que l’empêchement des affaires écarte de tout plaisir, et qui, au sein de nos travaux, pouvons nous créer tant d’autres divertissements, nous trouvons du charme et de l’agrément dans ces fêtes, pourquoi vous étonner de leur pouvoir sur une multitude peu éclairée ? L. Othon, citoyen recommandable et mon ami, n’eut pas seulement pour but de rétablir en faveur des chevaliers un privilège honorable ; il voulut encore assurer leurs plaisirs. Aussi sa loi sur les jeux a-t-elle été accueillie avec une vive approbation, parce qu’elle a rendu à un ordre justement estimé, avec une distinction flatteuse, un agréable délassement. Les jeux, croyez-moi, ne déplaisent à personne, pas plus à ceux qui s’en cachent qu’à ceux qui en conviennent. J’en ai moi-même fait l’épreuve dans ma candidature : j’eus aussi à combattre ces redoutables solliciteurs. Si moi, qui, dans mon éxdilité, avais donné des jeux de trois sortes, je ne laissai pas d’éprouver quelque inquiétude de ceux qu’Antoine fit célébrer, vous à qui le sort n’a pas permis d’en donner, croyez-vous que ce théâtre tout brillant d’argent dont vous vous moquez aujourd’hui, n’ait point servi votre adversaire ?

XX. Supposons néanmoins tout égal entre vous ;