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sière de nos annales qu’il faut aller chercher les preuves de votre noblesse. Aussi vous ai-je toujours regardé comme un des nôtres, parce que, fils d’un simple chevalier, vous avez su, à force de vertu et de talent, vous rendre digne des plus grands honneurs ; et je n’ai jamais pensé qu’il y eût moins de mérite dans Q. Pompéius, homme nouveau et d’un si grand courage, que dans Marcus Émilius, issu des plus nobles aïeux. En effet, il ne faut pas moins de force d’âme et de génie pour transmettre à ses descendants, comme l’a fait Pompéius, une illustration qu’on ne tient de personne, qu’il n’en a fallu à Scaurus pour faire revivre par sa vertu la mémoire presque éteinte de sa race.

VIII. Je croyais cependant, juges, avoir assez fait pour qu’on n’objectât plus à tant de citoyens distingués l’obscurité de leur naissance. En vain rappelaient-ils naguère l’exemple glorieux des Curius, des Caton, des Pompée, hommes nouveaux, et celui plus récent des Marius, des Didius et des Célius ; ils restaient oubliés. Mais lorsque j’eus enfin, après un si long intervalle, renversé les barrières que nous opposait la noblesse, et rendu la carrière du consulat accessible, comme chez nos aïeux, à la vertu aussi bien qu’à la naissance, je ne pensais pas qu’un consul désigné, d’une famille ancienne et illustre, défendu par un consul, fils d’un simple chevalier, eût à répondre à ses accusateurs sur la nouveauté de sa race. Le sort m’a donné à moi-même deux patriciens pour compétiteurs, l’un, le plus scélérat et le plus audacieux des hommes ; l’autre, modèle de vertu et de modestie : je l’ai cependant emporté sur tous les deux ; sur Catilina, par le mérite ; sur Galba, par la faveur du peuple. Si cette préférence pouvait être un grief contre un homme nouveau, certes je n’aurais manqué ni d’ennemis, ni d’envieux. Laissons donc de côté la noblesse, qui est égale de part et d’autre, pour nous occuper du reste.

Muréna, dit Sulpicius, a brigué la questure avec moi, et j’ai été nommé avant lui. Il est des objections qui n’ont pas besoin de réponse. Aucun de vous n’ignore, juges, que lorsqu’on nomme plusieurs candidats dont les titres sont égaux, il n’en est qu’un qui puisse être désigné le premier. L’ordre des nominations n’est donc pas celui du mérite, parce qu’il y a des degrés dans les nominations, et que souvent il n’y en a pas dans le mérite. Mais la questure qui vous échut à tous deux fut à peu près de la même importance : il obtint, d’après la loi Titia, une province pacifique et tranquille ; et vous, celle qui excite les acclamations ironiques du peuple, quand les questeurs tirent au sort la province d’Ostie, moins avantageuse et moins brillante que difficile et incommode. Son nom, comme le vôtre, n’a reçu aucun éclat de cette questure. Le sort ne vous ouvrait point de carrière où votre mérite pût s’exercer et se faire connaître.

IX. Veut-on comparer le reste de leur vie ? Ils ont suivi l’un et l’autre une route bien différente. Servius, enrôlé comme nous dans la milice civile, a donné des consultations, des réponses, des formules ; ministère plein de soucis et de dégoûts. Il a étudié le droit, s’est consumé dans les veilles et les travaux. Il a été utile aux uns ; il a supporté la sottise des autres, affronté l’arrogance de ceux-ci, essuyé en silence l’humeur chagrine