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Rome. Si donc lorsque l’état des affaires demandait une action sévère et vigoureuse, j’ai fait violence à ma nature pour déployer la rigueur que me commandaient les circonstances et non mon caractère ; aujourd’hui que tout me rappelle a l’indulgence et à l’humanité, avec quel empressement ne dois-je pas me livrer à mes sentiments naturels et à mes habitudes ? mais j’aurai peut-être à parler, dans une autre partie de mon discours, des motifs qui ont fait de moi le défenseur de Muréna, et de vous son accusateur.

Juges, les plaintes d’un homme aussi sage et aussi distingué que Servius Sulpicius, ne m’ont pas été moins sensibles que les reproches de Caton. Il n’a pu voir, dit-il, sans un sentiment d’amère douleur, qu’oubliant l’étroite amitié qui nous unit, j’embrasse contre lui la défense de Muréna. Je veux, Romains, lui rendre compte de ma conduite, et vous prononcerez entre nous. Car, s’il est pénible en amitié d’essuyer un juste reproche, on ne doit pas non plus laisser une fausse accusation sans réponse.

Assurément, Servius Sulpicius, quand vous demandiez le consulat, notre amitié me faisait un devoir de vous appuyer de tous mes vœux, de tout mon zèle, et ce devoir, je crois l’avoir rempli. J’ai fait alors pour vous tout ce que vous pouviez attendre d’un ami, d’un homme en crédit, d’un consul. Ce temps n’est plus, les circonstances ne sont plus les mêmes. Oui, j’ai le sentiment et la conviction profonde que je devais faire pour vous tout ce que vous pouviez vouloir exiger de moi, tant qu’il s’agissait de l’élection de Muréna ; mais aussi que je ne vous dois plus rien, dès qu’il s’agit d’attaques contre sa personne. Si je vous ai secondé quand vous étiez son compétiteur, ce n’est pas une raison pour vous seconder encore quand vous êtes son ennemi. En un mot, on ne saurait approuver, on ne saurait souffrir qu’une accusation portée par nos amis nous fasse refuser de défendre même un étranger.

IV. D’ailleurs, juges, je suis lié à Muréna par une étroite et ancienne affection ; et, dans une affaire capitale, Sulpicius n’étouffera point la voix de cette amitié, parce que, dans la poursuite du consulat, j’aurai fait prévaloir ses droits sur ceux de Muréna. Quand ce motif n’existerait point, le mérite de l’accusé, la dignité qu’il vient d’obtenir, m’auraient fait taxer d’orgueil et de dureté, si, dans un tel péril, j’avais refusé de défendre un homme recommandable par ses qualités et par les bienfaits du peuple romain. Non, je n’ai plus ni le droit, ni le pouvoir de ne pas consacrer mes travaux à la défense de mes concitoyens ; car si ce noble ministère m’a valu des récompenses inouïes jusqu’alors, renoncer aux travaux qui me les ont acquises, ce serait de la trahison, de l’ingratitude. Si pourtant il m’est permis de le faire, si votre aveu m’y autorise, Sulpicius, sans m’exposer à aucune accusation de paresse, d’orgueil ou d’inhumanité, j’y souscris volontiers. Si, au contraire, fuir le travail, repousser les suppliants, négliger ses amis est une preuve d’indolence, d’orgueil et de perfidie, cette cause est assurément du nombre de celles qu’un homme actif, sensible et obligeant ne saurait abandonner. Et à coup sûr, Sulpicius, vous pouvez en juger par votre propre exemple ;