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PLAIDOYER POUR L. MURÉNA.

DISCOURS VINGT-TROISIÈME.


ARGUMENT.

Sous le consulat de Cicéron, des comices ayant eu lieu pour l’élection des consuls de l’année suivante, Décimus Silanus et Licinius Murera furent désignés. Sulpicius, l’un des compétiteurs, supportant mal son échec, accusa Muréna de brigue, de concert avec Caton, Cn. Postumius et le jeune Sulpitins, son fils. C. Hortensius et H. Crassus défendaient Muréna. Cicéron se joignit à eux.

Diverses circonstances rendaient sa position délicate. Il venait de faire passer au sénat une loi nouvelle, la loi Tullia, contre la brigue. Cette loi, plus sévère que la loi Calpurnia, punissait de dix années d’exil, outre l’amende ordinaire, ceux qui seraient convaincus, soit d’avoir distribué de l’argent dans les centuries, soit de s’être fait suivre de gens payés, soit d’avoir attiré des étrangers à Rome au temps de l’élection, ou entretenu sans nécessité des troupes de gladiateurs. En outre, il avait à ménager Sulpicius, qui était de ses amis, et Caton, dont l’autorité était si grande, et qui avait menacé de faire cette année même l’épreuve de la loi Tullia sur un consulaire.

Il réussit, à force d’art, et sans blesser Sulpicius par ses fines railleries contre les jurisconsultes, ni Caton par quelques critiques aimables des Stoïciens, à gagner la cause de Muréna, qui fut absous, et devint consul. C’est après avoir entendu ce discours que Caton, selon Plutarque, aurait dit : Nous avons là un facétieux consul.


I. Romains, le jour où, après avoir pris les auspices, je proclamai, dans les comices assemblés par centuries, L. Muréna consul, je demandai aux dieux immortels, suivant l’usage établi par nos ancêtres, qu’un tel choix eût d’heureux résultats pour moi, pour la charge, que j’exerce encore et pour tous les ordres de l’État. J’adresse aujourd’hui les mêmes prières aux dieux, et leur demande pour le même homme le maintien de ses droits de consul et de citoyen. Je leur demande que l’accord de vos opinions et de vos sentiments avec les intentions et les suffrages du peuple romain, vous assure, ainsi qu’à la république, la paix, la tranquillité, le repos et l’union. S’il est vrai que cette prière solennelle des comices, consacrée par les auspices consulaires, ait le caractère imposant et sacré qu’exige la dignité de notre république, sachez que j’ai demandé de plus aux dieux immortels que les citoyens à qui le consulat serait décerné sur ma proposition, trouvassent dans cet honneur succès, bonheur et prospérité. Puisqu’il en est ainsi, juges ; puisque les dieux vous ont investis de tout leur pouvoir, ou du moins l’ont partagé entre vous, le consul qui naguère leur a recommandé Muréna, le recommande à votre justice, afin que, défendu par la même voix qui l’a proclamé consul, il conserve, avec le bienfait du peuple romain, le moyen de veiller à votre salut et à celui de tous les citoyens. Mais comme l’accomplissement de ce devoir a été blâmé par la partie adverse, qui me fait un crime de mon zèle à défendre Muréna, et va jusqu’à me reprocher de m’être chargé de cette cause, avant de commencer à parler pour lui, je dirai quelques mots pour ma propre justification, non que je la préfère à son salut, dans les circonstances présentes ; mais ma conduite une fois justifiée devant vous, je trouverai dans votre approbation une nouvelle force pour repousser les attaques que ses ennemis dirigent contre sa dignité, son honneur et sa fortune.