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CONTRE L. CATILINA, LIV. IV.

hauteur s’est élevé, par la protection des dieux, ce majestueux édifice de la grandeur romaine. Empire, liberté, grandeur, une seule nuit a failli tout détruire. Il faut empêcher aujourd’hui que jamais des citoyens pervers ne puissent consommer de pareils attentats, ne puissent même en concevoir la pensée. Et je ne tiens pas ce langage, pères conscrits, pour encourager votre zèle ; il a presque devancé le mien. Mais je suis consul, et à ce titre la république avait droit d’exiger que ma voix se fît entendre la première.

X. Maintenant, pères conscrits, avant de revenir à l’objet de la délibération, je vous parlerai un instant de moi-même. Autant la république renferme de conjurés, et vous voyez qu’elle en renferme un grand nombre, autant je me suis fait d’implacables ennemis. Mais leur faiblesse égale leur haine, et le mépris est tout ce que je dois à cette foule abjecte et déshonorée. Si pourtant, soulevée contre moi par l’audace et le crime, elle venait quelque jour à prévaloir contre l’auguste protection du sénat et des lois, jamais, pères conscrits, je ne me repentirai de mes actions ni de mes conseils. En effet, la mort, dont peut-être ils me menacent, est le destin commun des hommes ; mais la gloire dont vos décrets ont honoré ma vie n’échut encore en partage qu’à moi seul. Vous avez décerné à mille autres des félicitations publiques pour avoir bien servi la patrie ; je suis le premier qui en reçoive pour l’avoir sauvée.

Honneur au grand Scipion, dont le génie et la valeur forcèrent Annibal de retourner en Afrique et d’abandonner l’Italie ! Honneur au second Africain, destructeur des deux villes les plus ennemies de cet empire, Carthage et Numance ! Célébrons les faits héroïques de Paul Émile, qui vit Persée, un monarque jadis si puissant et si renommé, attaché en esclave à son char de triomphe. Proclamons la gloire éternelle de Marius, qui deux fois sauva l’Italie de l’invasion des barbares et du joug étranger. Au-dessus de ces grands noms, plaçons le grand nom de Pompée, dont les exploits et les vertus embrassent la même carrière que le soleil, et n’ont de limites que celles du monde. Au milieu de toutes ces gloires, ma gloire trouvera sans doute quelque place ; car s’il est beau de nous ouvrir, en conquérant des provinces, les routes de l’univers, il est beau aussi de conserver aux héros absents pour la victoire, une patrie ou ils puissent revenir triomphants. Heureux, au reste, le vainqueur de l’étranger ! moins heureux le vainqueur de ses concitoyens ! Subjugué ou reçu en grâce, l’ennemi du dehors est enchaîné par la force ou par la reconnaissance ; mais quand des citoyens, transportés d’un funeste délire, ont une fois déclaré la guerre à leur patrie, en vain vous aurez sauvé la patrie de leurs coups ; ni craintes ni bienfaits ne pourront les désarmer. J’aurai donc à soutenir contre les mauvais citoyens des combats éternels. Je les redoute peu : votre appui, celui de tous les gens de bien, le souvenir de nos dangers, souvenir qui ne périra jamais dans la mémoire des nations, et moins encore dans celle de ce grand peuple sauvé par mes soins, tout me sera, et pour moi et pour les miens, un rempart assuré. Non, jamais la force ne prévaudra contre l’union du sénat et des chevaliers romains ; jamais la ligue sacrée des hommes vertueux ne sera rompue par la violence des méchants.

XI. Ainsi, pères conscrits, pour me tenir lieu