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CONTRE L. CATILINA, LIV. IV.

avait péri par ordre du consul, avec son fils, qui, tout jeune encore, et tout chargé qu’il était d’une mission pacifique, fut tué dans la prison ? Et cependant ils n’avaient pas, comme Lentulus, conjuré la ruine de l’État. C’était une simple lutte de parti, et des largesses espérées ou promises causèrent tous les troubles. Alors l’aïeul de Lentulus poursuivit le second des Gracques le fer à la main ; alarmé des moindres dangers de la république, son sang coula pour la défendre : aujourd’hui, c’est pour la renverser de fond en comble que le petit-fils de ce grand homme arme les Gaulois, soulève les esclaves, appelle Catilina, charge Cethégus d’égorger les sénateurs ; Gabinius, de passer les citoyens au fil de l’épée ; Cassius, de réduire la ville en cendres ; Catilina enfin, de livrer au pillage l’Italie tout entière. Juges de tels forfaits, vous craindriez de paraître sévères ! Craignez plutôt de paraître cruels envers la patrie, en épargnant ses mortels ennemis. Non, ce n’est point l’arrêt vengeur de tant de crimes qui sera jamais flétri du nom de cruauté.

VII. Toutefois, pères conscrits, j’entends autour de moi des paroles sur lesquelles je ne puis me taire. Du milieu de vous, des voix alarmantes parviennent à mes oreilles : on paraît craindre que je n’aie pas les moyens d’exécuter le décret que vous porterez aujourd’hui. Tout est prévu, pères conscrits, tout est ordonné, tout est préparé par mes soins et ma vigilance, et plus encore par le zèle du peuple romain, qui veut conserver son empire, ses biens et sa liberté. Autour de nous sont réunis les Romains de tous les ordres et de tous les âges ; le forum en est rempli ; tous les temples qui entourent le forum, toutes les avenues qui conduisent à cette enceinte, ne peuvent en contenir la foule. En effet, c’est la première fois, depuis que Rome existe, qu’une même cause ait réuni tous les sentiments ; si ce n’est ceux des hommes qui, sûrs de périr, ont voulu, pour ne pas tomber seuls, nous entraîner tous dans leur ruine. Je les excepte volontiers, et j’en fais une classe à part. Ce ne sont pas même de mauvais citoyens ; ce sont d’irréconciliables ennemis. Mais les autres, grands dieux ! quel concours, quel zèle, quel dévouement unanime pour la gloire et le salut de l’empire !

Que dirai-je ici des chevaliers romains ? s’ils ne viennent qu’après vous pour le rang et le conseil, ils se glorifient de marcher vos égaux en courage et en patriotisme. Réconciliés enfin et réunis à cet ordre après bien des années de dissensions, cette journée mémorable et cette cause sacrée resserrent les liens de votre union. Puisse cette union, affermie sous mon consulat, durer éternellement ! rassurée à jamais contre les ennemis domestiques, la république n’aura plus rien à redouter de leurs coupables efforts. Je vois enflammés du même zèle les tribuns du trésor ; et cette classe nombreuse et distinguée des secrétaires, qui, réunis par hasard ce jour même au trésor public, ont abandonné le soin de leurs intérêts, pour voler au secours de la patrie. Tous les hommes nés libres, même dans les rangs les plus obscurs, sont accourus en foule. Quel est, en effet, le Romain pour qui ces temples, l’aspect de cette ville, la possession de la liberté, cette lumière même qui nous éclaire, cette terre de la commune patrie,