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CICÉRON.

qui, accusés devant vous, attendent l’arrêt que prononcera votre sévérité. Vous tenez en vos mains ceux qui restèrent dans Rome pour la livrer aux flammes, pour vous égorger tous, pour ouvrir les portes à Catilina. Vous avez leurs lettres, leurs cachets, leur écriture, l’aveu de chacun des coupables. On veut séduire les Allobroges ; on soulève les esclaves ; on appelle Catilina ; on forme l’horrible dessein d’un massacre, dont il ne doit pas échapper un citoyen pour gémir sur les ruines de la patrie, et déplorer la chute d’un si puissant empire.

III. D’irrécusables témoins vous ont révélé tous ces attentats ; leurs auteurs les ont confessés ; vous-mêmes en avez déjà plus d’une fois porté votre jugement : d’abord en m’adressant d’honorables remercîments, et en déclarant que j’ai, par mon courage et ma vigilance, découvert une conjuration impie et criminelle ; ensuite, en forçant Lentulus d’abdiquer la préture, et en prononçant sa détention et celle de ses complices ; enfin, en ordonnant en mon nom des actions de grâces aux dieux immortels, honneur réservé jusqu’à moi aux généraux victorieux. Hier encore vous avez décerné aux députés des Allobroges et à Titus Vulturcius de magnifiques récompenses. Tous ces actes ne sont-ils pas autant d’arrêts lancés contre ceux dont les noms sont compris dans l’ordre de détention ?

Cependant, pères conscrits, j’ai voulu, en soumettant l’affaire à une nouvelle délibération, que vous pussiez prononcer à la fois sur le crime et sur le châtiment. Avant de prendre vos suffrages, je vais vous parler comme doit le faire un consul. Je voyais depuis longtemps de coupables fureurs couver sourdement dans le sein de la république ; je voyais les factions s’agiter et nous préparer des malheurs inconnus. Mais que des citoyens eussent formé une si vaste et si effrayante conjuration, non, je ne l’ai jamais cru. Maintenant que ce fait n’est que trop certain, pour quelque parti que penchent vos opinions, il faut vous prononcer avant la nuit. Vous voyez quel horrible forfait vous est dénoncé. Si vous croyez que peu de complices y aient trempé, c’est une erreur, pères conscrits. Le mal est plus étendu qu’on ne pense. Il a infecté l’Italie ; que dis-je ? il a franchi les Alpes, et dans ses progrès insensibles, il a déjà envahi plus d’une province. L’étouffer à force de patience et de temps, est impossible ; quelque remède que votre justice y apporte, la promptitude seule en fera le succès.

IV. Jusqu’ici deux opinions partagent cette assemblée : celle de Silanus, qui juge dignes de mort les assassins de la patrie ; celle de César, qui, rejetant la peine de mort, ne trouve parmi les autres supplices rien qui soit trop rigoureux. L’un et l’autre ont tenu le langage qui convenait à leur rang, et fait voir une sévérité proportionnée à la grandeur du délit. Le premier ne pense pas que des hommes convaincus d’avoir voulu nous arracher la vie, exterminer le peuple romain, renverser l’empire, anéantir jusqu’au nom de Rome, doivent un instant jouir de la lumière, et respirer l’air dont ils voulurent nous priver ; il se rappelle en même temps que cette république a vu plus d’une fois des citoyens pervers punis du dernier supplice. L’autre est persuadé que les dieux n’ont point voulu faire de la mort un châtiment ; mais qu’elle est une loi de la na-