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QUATRIÈME DISCOURS
CONTRE L. CATILINA,
PRONONCÉ DANS LE SÉNAT.

DISCOURS VINGT-DEUXIÈME.


ARGUMENT.

Les principaux conjurés étaient sous la main de la justice ; mais ils avaient dans Rome de nombreux partisans. Déjà les affranchis de Lentulus cherchaient à soulever la populace et les esclaves. Déjà les émissaires de Céthégus, avec une foule d’hommes exercés à l’audace et au crime, se préparaient à l’arracher de la maison de Cornificius où il était gardé. Tout le monde n’était pas rassuré sur les intentions de César, et un témoin, dont on n’osa pas approfondir la déposition, vint dénoncer Crassus ; et pendant ce temps, Catilina était en Étrurie à la tête d’une armée. Ainsi, quoique découverte, la conjuration était encore puissante. Cicéron sentit combien il importait de se hâter ; et dès le 4 décembre, il convoqua le sénat pour prononcer sur le sort des conjurés.

Il faut se souvenir que la constitution de la république ne donnait pas à ce corps le pouvoir judiciaire. En outre, les lois Porcia et Sempronia défendaient qu’aucun citoyen fût condamné à mort, ou même à l’exil, si ce n’est par le peuple assemblé en centuries. Le jugement que le sénat se disposait à rendre était donc un véritable coup d’État, un acte arbitraire, et, s’il faut le dire, une usurpation ; mais le sénat était pressé entre deux inévitables nécessités : celle de violer les lois, et celle de périr avec l’État et les lois.

Le consul désigné, Silanus opina pour le dernier supplice. Son collègue Muréna en fit autant, ainsi qu’un grand nombre de consulaires et des principaux du sénat, jusqu’à Tibérius Néron, aïeul de l’empereur Tibère, qui voulait qu’on différât le jugement jusqu’après la défaite de Catilina. C’est alors que César, préteur désigné et grand pontife, prononça cet éloquent et artificieux Discours, dont Salluste nous a conservé, sinon le texte, au moins l’esprit et les principaux arguments. Il proposait la prison perpétuelle et la confiscation des biens ; mais son dessein était évidemment de sauver les coupables. La popularité de César, et l’adresse avec laquelle il fit valoir les lois protectrices de la vie des citoyens, avaient jeté dans les esprits beaucoup d’incertitude et d’hésitation. Les uns, partisans secrets de la conjuration, voyaient avec plaisir un homme de ce rang et de ce crédit se déclarer, en quelque sorte, pour les conjurés. La foule des hommes timides et sans opinion reculaient devant un acte de vigueur, ou étaient séduits par les sophismes de César : les plus zélés et les plus courageux craignaient que le sang des condamnés ne retombât un jour sur le consul. Silanus interprétait son vote, et disait que par le supplice, il avait, comme César, entendu la prison. La plupart, sans excepter même Quintus Cicéron, revenaient à cet avis : enfin, tous les yeux, tournés vers le consul, semblaient l’avertir de ses dangers, ou chercher à démêler ses secrets sentiments. Ce grand citoyen sentit que le moment était décisif. Il prit aussitôt la parole.

Tel est le sujet de la quatrième Catilinaire, dont, par une injuste réticence, Salluste n’a pas même fait mention. Catulus, sur lequel cet historien garde le même silence, se prononça pour le dernier supplice. Enfin, Caton entraîna les suffrages par cette admirable harangue que nous lisons dans le Catilina, et qui contenait contre César de courageuses invectives que Plutarque rapporte, et que Salluste a dissimulées.

« La sentence de mort (dit la Harpe, Cours de littér.) fut prononcée d’une voix presque unanime, et exécutée sur-le-champ. Cicéron, un moment après, trouva les partisans, les amis, les parents des conjurés encore attroupés dans la place publique. Ils ignoraient le sort des coupables, et ils n’avaient pas perdu toute espérance. Ils ont vécu, leur dit le consul en se tournant vers eux, et ce seul mot fut un coup de foudre qui les dissipa tous en un moment. Il était nuit ; Cicéron fut reconduit chez lui aux acclamations de tout le peuple, et suivi des principaux du sénat. On plaçait des flambeaux aux portes des maisons pour éclairer sa marche. Les femmes étaient aux fenêtres pour le voir passer, et le montraient à leurs enfants. Quelque temps après, Caton devant le peuple, et Catulus dans le sénat, lui décernèrent le nom de père de la patrie, titre si glorieux, que dans la suite la flatterie l’attacha à la dignité impériale, mais que Rome libre, dit heureusement Juvénal, n’a donné qu’au seul Cicéron :

Roma patrem patriæ Ciceronem libera dixit. »


I. Je vois, pères conscrits, que tous vos regards sont attachés sur moi. Je vois que mes dangers vous touchent au milieu même des dangers de la patrie, et qu’une fois la république sauvée, vous serez encore alarmés sur mon sort. Ce généreux intérêt adoucit tous mes maux, console toutes mes douleurs. Mais, au nom des dieux ? bannissez-le de vos cœurs, pères cons-