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CICÉRON.

répandu sur eux un esprit de vertige ? Mais ce n’est pas tout. Des Gaulois, les représentants d’une nation encore mal soumise, la seule au monde à qui ne manquent ni les moyens, ni peut-être la volonté de nous faire la guerre, ont renoncé d’eux-mêmes aux plus magnifiques espérances, refusé l’empire que des patriciens venaient mettre à leurs pieds, et préféré le salut du peuple romain à l’agrandissement de leur patrie ; et ces hommes, pour nous vaincre, n’avaient pas besoin de combattre ; il leur suffisait de se taire. Je vous le demande, citoyens, n’est-ce pas là encore un nouveau prodige ?

X. Ainsi, puisqu’il est ordonné que de solennelles actions de grâces auront lieu dans tous les temples, célébrez avec vos femmes et vos enfants cette fête de la reconnaissance. Jamais honneurs plus justes et mieux mérités ne furent rendus aux dieux immortels. Vous venez d’échapper à la plus déplorable catastrophe, et pas une goutte de sang n’a coulé. Vainqueurs sans armes, sans combats, vous n’avez eu que moi pour général, et nous triomphons tous sans avoir quitté cette toge, compagne de la paix. Rappelez-vous, citoyens, toutes nos dissensions intestines, et celles dont vous avez entendu le récit, et celles dont vous fûtes vous-mêmes les témoins. Sylla fit périr Sulpicius ; il chassa de Rome C. Marius, le sauveur de cette ville ; il bannit de leur patrie, ou massacra sans pitié une foule d’hommes distingués. Le consul Octavius mit à main armée son collègue hors des murs : le lieu où nous sommes fut jonché de cadavres, et le sang romain y coula par torrents. Marius et Cinna triomphèrent à leur tour ; et la mort, éteignant le flambeau des plus glorieuses vies, priva Rome de tout ce qu’elle avait de plus grand. Sylla, dans la suite, tira vengeance de ces cruautés, et vous ne savez que trop combien de citoyens coûtèrent à la république ces terribles représailles. Des divisions éclatèrent entre Lépidus et Catulus : Lépidus périt ; mais combien la république regretta ceux qui périrent avec lui !

Toutefois ces dissensions n’allaient pas à renverser l’État, mais seulement à en changer la forme. Les factieux ne voulaient pas que la république cessât d’être ; ils voulaient une république dont ils fussent les chefs. Ils ne demandaient pas que Rome pérît dans les flammes, mais que Rome leur prodiguât des honneurs. Et cependant toutes ces dissensions, dont aucune ne tendait au renversement de l’État, dégénérèrent en guerres irréconciliables, et des flots de sang purent seuls en éteindre la fureur. Mais dans cette nouvelle guerre, la plus cruelle et la plus redoutable dont les hommes aient gardé la mémoire, guerre telle que jamais n’en firent à une nation barbare ses féroces enfants ; guerre où Lentulus, Catilina, Céthégus, Cassius s’étaient imposé la loi de traiter en ennemis tous ceux dont le salut pouvait se concilier avec le salut de Rome : dans cette guerre, citoyens, j’ai tellement conduit les affaires, que vous êtes tous sauvés. Vos ennemis voyaient déjà le nombre des Romains réduit à ce qu’aurait épargné le fer, et Rome elle-même, à ce que les flammes n’auraient pu dévorer : vain espoir ! j’ai tout préservé de leur rage, et Rome et les Romains.

XI. Pour prix de si grands services, je ne vous