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CICÉRON.


scrupule n’alarmera pas non plus nos consciences, quand il faudra punir Lentulus : il n’est plus magistrat.

VII. Maintenant, citoyens, que vous tenez prisonniers les chefs impies de cette guerre sacrilége et pernicieuse, vous pouvez considérer Catilina comme entièrement vaincu. Oui, en sauvant la ville, nous avons anéanti ses forces et ruiné ses espérances. Lorsque je chassais de nos murs cet ennemi public, je calculais qu’une fois Catilina loin de nous, j’aurais peu sujet de redouter l’assoupissement d’un Lentulus, la lourde épaisseur d’un Cassius, la fougueuse témérité d’un Céthégus. Catilina seul était redoutable, mais il ne l’était que dans Rome. Il connaissait tout, avait accès partout ; fallait-il aborder quelqu’un, le sonder, le solliciter ? il le pouvait, Il l’osait. Il avait le génie du crime, et le crime une fois conçu, son bras savait le commettre, sa bouche, le persuader. Des ministres dévoués, et dont chacun avait son rôle et son office, attendaient ses volontés. Mais pour avoir donné des ordres, il ne les croyait pas accomplis. Il n’y avait rien qu’il ne voulût voir par lui-même, présent partout, veillant à tout, capable de tout supporter, les fatigues, le froid, la faim, la soif. Non, citoyens, si je n’avais éloigné cet homme si actif, si entreprenant, si audacieux, si rusé, si infatigable pour le crime, si habile à porter l’ordre et le conseil jusque dans le désordre ; si je ne l’avais contraint de se jeter dans un camp, et de changer en brigandage public la guerre cachée qu’il nous faisait dans Rome : je le dirai sans feinte, je n’aurais pas facilement conjuré l’orage qui grondait sur vos têtes. Il ne vous aurait pas, comme eux, ajournés aux Saturnales ; il n’aurait pas si longtemps d’avance déclaré à la république le jour fatal où elle devait périr. Il ne se serait pas exposé à voir son cachet, et ses lettres, tombées en vos mains, devenir contre lui des témoins irrécusables. Nous devons à son absence que jamais voleur ne fut pris en flagrant délit, dans une maison particulière, avec autant d’évidence que vient d’être surprise et saisie au sein de la république cette effrayante conspiration. Sans doute, tant que Catilina est demeuré dans Rome, j’ai toujours prévenu ou réprimé ses complots. Mais s’il était resté jusqu’aujourd’hui, il aurait fallu, pour ne rien dire de plus sinistre, soutenir une lutte contre ce furieux ; et jamais, avec un tel ennemi dans nos murs, nous n’aurions pu, sans bruit, sans tumulte, sans troubler un instant votre repos, sauver l’État de si horribles dangers.

VIII. Au reste, citoyens, dans ces conjonctures difficiles, je ne fus sans doute que le ministre des dieux immortels, et leur sagesse a tout prévu, tout ordonné ; il suffirait, pour s’en convaincre, de songer combien la conduite de ces grands événements paraît au-dessus de la prudence humaine. Mais leur protection s’est manifestée, dans ces derniers temps, par des signes si visibles, qu’ils ont dû frapper tous les yeux. Sans rappeler ces lueurs menaçantes vues dans l’ombre des nuits, et l’occident paraissant tout en feu, et la foudre tombant coup sur coup, et la terre tremblant sous nos pas, et mille autres prodiges apparus cette année même, par lesquels la voix prophétique du ciel semblait se faire entendre ; les faits dont je vais parler, citoyens, sont dignes d’être ouïs, et je ne peux les passer sous silence. Vous n’avez pas