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TROISIÈME DISCOURS
CONTRE L. CATILINA,
PRONONCÉ DEVANT LE PEUPLE.

DISCOURS VINGT ET UNIÈME.


ARGUMENT.

Cicéron, dans la Harangue précédente, annonçait que Catilina était parti pour le camp d’Étrurie, et il s’y rendit en effet. Aussitôt que la nouvelle en fut parvenue à Rome, le sénat le déclara, ainsi que Mallius, ennemi public, et ordonna aux consuls de lever de nouvelles troupes. Cicéron resta pour veiller à la sûreté de la ville. Antonius se mit à la tête d’une armée pour aller en Toscane attaquer les rebelles, tandis que Métellus leur fermait le chemin de la Gaule.

Cependant Lentulus, Céthégus et les autres conjurés exécutaient dans Rome les instructions de leur chef, et se tenaient prêts à y porter le carnage et l’incendie au moment où lui-même s’avancerait avec des forces redoutables. Mais non contents d’armer contre la patrie tout ce qu’elle renfermait d’hommes pervers et corrompus, ils appelèrent l’étranger à leur aide, et ce dernier crime les perdit. Les Allobroges, nation gauloise, avaient envoyé à Rome des ambassadeurs pour implorer la justice du sénat contre l’avarice des gouverneurs romains. Ces députés sollicitaient avec peu de succès, lorsque Lentulus, entamant avec eux une criminelle négociation, les flatta des plus brillantes promesses, s’ils voulaient servir ses desseins. L’espérance de voir finir les maux de leur patrie leur fit d’abord prêter l’oreille à cette proposition. Mais bientôt ils pesèrent d’un côté les difficultés d’une entreprise si hasardeuse, de l’autre les ressources de la république, et les récompenses qu’ils pouvaient en attendre s’ils la sauvaient d’un si horrible complot. Enfin, ils révélèrent tout à Fabius Sanga, patron de leur cité ; et par leur moyen, les lettres que les conjurés adressaient, les unes à Catilina, les autres au sénat et au peuple des Allobroges, tombèrent entre les mains du consul. Cet événement eut lieu la nuit du 2 au 3 décembre. Ainsi furent déconcertés les plans des conspirateurs, dont l’exécution était fixée au 17 du même mois, premier jour des Saturnales.

Muni de ces pièces de conviction, Cicéron mande chez lui les conjurés, qui, ne se doutant pas qu’ils fussent découverts, y viennent avec sécurité. De là il les conduit au temple de la Concorde, où il avait convoqué le sénat, les confronte avec les Allobroges, leur représente leurs lettres, et les confond par leurs propres aveux. Le sénat prononce aussitôt la détention des coupables. Ensuite il décerne des récompenses aux dénonciateurs, vole des remercîments au consul, et ordonne des supplications dans tous les temples. On appelait ainsi les actions de grâces que le peuple romain rendait aux dieux après une grande victoire, et cette cérémonie religieuse était presque aussi honorable pour le vainqueur que le triomphe même. Cicéron était le premier magistrat au nom de qui on l’eût jamais décernée pour des fonctions civiles. Après la séance du sénat, le consul monte à la tribune aux harangues, et rend compte au peuple de tous ces événements.

Ce Discours fut prononcé le 3 décembre au soir, vingt-quatre jours après la seconde Catilinaire.


I. La république, citoyens, votre vie, vos biens, vos fortunes, vos femmes, vos enfants, cette capitale du plus glorieux empire, cette ville si belle et si florissante, viennent d’être sauvés du carnage et de l’incendie. L’éclatante protection des dieux immortels, mes travaux, ma vigilance, mon dévouement, ont fermé l’abîme ou tout allait s’engloutir, et la patrie vous est rendue. On peut dire, citoyens, que le jour où la vie nous fut conservée n’est pour nous ni moins heureux, ni moins solennel que le jour où nous la reçûmes ; car en naissant on ne sent pas le bienfait de la nature, et nul ne sait à quelles conditions l’existence nous est donnée ; mais l’homme sauvé de la mort jouit d’un bonheur qu’il connaît, et goûte tout le plaisir de sa conservation. À ce titre, puisque la reconnaissance de nos pères