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à leur indigence. Également avides de rapines et de pillages, je les range les uns et les autres dans une seule et même classe. Mais je leur donne un conseil : qu’ils cessent de rêver dans leur délire les proscriptions et les dictatures. Ces temps affreux ont laissé au fond des âmes de si horribles souvenirs, qu’à peine faut-il être homme pour jurer qu’ils ne reviendront jamais.

X. La quatrième classe est un mélange confus et turbulent de malheureux, sur qui pèsent des dettes accumulées dès longtemps par la paresse, la dépense, le défaut de conduite, et que chaque jour enfonce plus avant dans un gouffre d’où ils ne sortiront pas. Fatigués d’assignations, de sentences, de saisies, ils désertent les villes et les campagnes pour courir en foule sous les drapeaux de la révolte : soldats sans courage, débiteurs sans bonne foi, qui savent mieux faire défaut à la justice qu’ils ne sauront faire face à l’ennemi. S’ils ne peuvent se soutenir, qu’ils tombent ; mais qu’ils tombent sans que la république, ni même leurs plus proches voisins s’aperçoivent de leur chute : car je ne conçois pas pourquoi, ne pouvant vivre avec honneur, ils veulent périr avec honte, ni comment il leur semble moins affreux de finir leurs destins avec beaucoup d’autres, que de les finir seuls.

La cinquième classe renferme les parricides, les assassins, les scélérats de toute espèce. Je ne cherche point à les détacher de Catilina : ils ne pourraient jamais s’arracher d’auprès de lui. Qu’ils périssent d’ailleurs au sein du brigandage, puisque aucune prison n’est assez vaste pour les contenir tous.

Vient enfin une dernière classe, et c’est en effet la dernière par l’avilissement de ceux qui la composent. Ce sont les hommes de Catilina, c’est son élite, ou plutôt ce sont ses amours et ses délices. Vous les reconnaissez aux parfums de leur chevelure élégamment peignée, à leur visage sans barbe, ou à leur barbe arrangée avec art, à la longueur de leurs tuniques, et aux manches qui couvrent leurs bras efféminés ; enfin, à la finesse des tissus qui leur servent de toges ; hommes infatigables qui signalent, dans des festins prolongés jusqu’à l’aurore, leur patience à supporter les veilles. Ce vil troupeau renferme tous les joueurs, tous les adultères, tout ce qu’il y a de débauchés, sans mœurs et sans pudeur. Ces jeunes gens, si délicats et si jolis, savent bien autre chose que chanter et danser, qu’aimer et être aimés ; ils savent darder un poignard et verser du poison. S’ils ne sortent, s’ils ne périssent, quand même Catilina ne serait plus, sachez que nous aurons dans la république une pépinière de Catilinas. Cependant à quoi pensent ces malheureux ? Emmèneront-ils dans le camp les compagnes de leurs débauches ? D’un autre côté, comment pourront-ils s’en passer dans ces longues nuits d’hiver ? Et eux-mêmes, comment supporteront-ils les neiges et les frimas de l’Apennin ? ils se croient peut-être en état de braver les rigueurs de la saison, parce qu’ils ont appris à danser nus dans les festins ? Guerre vraiment formidable, où le général aura pour garde prétorienne cette cohorte impudique !

XI. Déployez maintenant, Romains, contre cette brillante milice de Catilina, les forces de votre