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zélé pour la patrie que tous le devraient être, me faisait un crime de ce que je proclame comme un triomphe, et m’accusait d’avoir laissé partir un ennemi si redoutable, quand il aurait fallu le jeter dans les fers ; la faute n’en est pas à moi, citoyens, elle est aux circonstances. Oui, Catilina aurait dû, il y a longtemps, payer ses forfaits de sa tête. Les coutumes de nos ancêtres, la sévère autorité qui m’est confiée, l’intérêt de l’État, demandaient son supplice. Mais combien refusaient de croire les crimes que je dénonçais ! combien d’insensés les traitaient de chimère ! combien cherchaient à les excuser ! combien même étaient assez pervers pour en désirer le succès ! Si pourtant j’avais pensé que la mort de Catilina suffît à votre sûreté, certes je vous aurais délivrés de ce traître, au prix de ma tranquillité, au péril de ma vie même. Mais il en était jusque parmi vous qui pouvaient encore douter de la conjuration ; et si je l’avais livré au supplice qu’il méritait, la haine soulevée contre moi m’eût empêché de poursuivre ses complices. J’ai donc amené les choses au point que vous pussiez le combattre à face découverte, quand il se serait publiquement déclaré votre ennemi. Et cet ennemi, citoyens, vous pouvez juger si je le redoute, à présent qu’il est hors des murs : mon seul regret est qu’il n’en soit pas sorti avec de plus nombreux satellites. Que n’a-t-il emmené avec lui toutes ses forces ! Il emmène un Tongilius, le compagnon de ses premières débauches ; un Publicius, un Munatius, dont les dettes, contractées à la taverne, n’auraient jamais troublé l’État. Mais quels hommes il laisse après lui ! combien ils sont dangereux par leur nom, leur puissance, le délabrement de leur fortune !

III. Pour moi, avec nos vieilles légions gauloises, avec celles que Métellus vient encore de lever dans la Gaule et dans le Picénum, avec les forces que je rassemble moi-même chaque jour, j’ai le plus profond mépris pour une armée composée de vieillards sans ressource, de paysans ruinés par le luxe, de dissipateurs villageois, de débiteurs qui fuient la justice, et courent sous les drapeaux d’un rebelle ; de gens enfin que je pourrais foudroyer en leur montrant, je ne dis pas la pointe de nos épées, mais une simple ordonnance du préteur. Il en est d’autres que je vois parfumés d’essences précieuses, éclatants de pourpre, voltiger dans le forum, assiéger les portes du sénat, entrer même dans cette assemblée. Voilà, de tous les soldats de Catilina, ceux que je voudrais le plus voir partis avec lui. Puissent ces déserteurs de son armée ne pas rester au milieu de nous ! L’armée elle-même, je vous le prédis, Romains, est cent fois moins redoutable. Nous devons d’autant plus les craindre, qu’ils me savent instruit de tous leurs desseins, et ne s’en effrayent pas. Je vois à qui l’Apulie est échue en partage, à qui on a confié l’Étrurie, qui est chargé de la Gaule et du Picénum, qui a sollicité l’affreuse commission de porter dans Rome le carnage et l’incendie. Toutes leurs résolutions de la nuit d’avant-hier m’ont été révélées. Ils le savent, j’en ai fait hier le détail dans le sénat. Catilina lui-même a tremblé. Il a pris la fuite. Qu’attendent ses complices ? Ils sont dans une étrange erreur, s’ils croient que ma longue indulgence ne se lassera jamais.

IV. Le but que je me proposais, je l’ai atteint :