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par un consul. Tu porteras contre elle des armes impies ; mais ce sera un brigandage, et non une guerre.

XI. Maintenant, pères conscrits, je vais aller au-devant d’un reproche que cette patrie pourrait m’adresser avec quelque justice. Redoublez d’attention, je vous en conjure, et gardez dans votre mémoire ce que je vais dire pour me justifier. Si la patrie, qui m’est cent fois plus chère que la vie même, si toute l’Italie, si la république entière m’adressait la parole, « M. Tullius, pourrait-elle me dire, que fais-tu ? Eh quoi ! celui que tu as reconnu pour mon ennemi ; celui qui s’apprête à porter la guerre dans mon sein ; celui qu’une armée de rebelles attend pour marcher sous ses ordres ; celui qui soulève les esclaves et enrôle les mauvais citoyens, l’auteur de la plus criminelle entreprise, le chef d’une conjuration sacrilège, tu lui ouvres les portes, et tu ne vois pas que c’est moins un fugitif que tu laisses sortir de Rome, qu’un furieux que tu déchaînes contre elle ? Pourquoi n’ordonnes-tu pas qu’il soit chargé de fers, traîné à la mort, livré au dernier supplice ? Qui peut t’arrêter ? Les usages de nos ancêtres ? mais souvent, dans cette république, de simples particuliers ont puni de mort ceux qui en menaçaient le repos. Les lois qui assurent au citoyen accusé de solennelles garanties ? mais jamais, dans cette ville, un homme révolté contre l’État ne jouit des droits de citoyen. Craindrais-tu les reproches de l’avenir ? c’est témoigner une digne reconnaissance au peuple romain, qui, oubliant la nouveauté de ton nom et l’obscurité de ta race, t’a si promptement élevé de dignités en dignités jusqu’à la suprême magistrature, que de sacrifier à la crainte de l’opinion et à de lâches terreurs le salut de tes concitoyens ! Ah ! si tu redoutes le blâme, aimes-tu donc mieux l’encourir pour avoir trahi l’État par une coupable faiblesse, que pour l’avoir sauvé par une courageuse sévérité ? Quand l’Italie sera en proie aux horreurs de la guerre, quand les villes seront saccagées, les maisons livrées aux flammes, crois-tu échapper alors à l’incendie qu’allumera contre toi l’indignation publique ? »

XII. À ces paroles sacrées de la patrie, aux secrètes pensées de ceux qui me font intérieurement les mêmes reproches, je répondrai en peu de mots. Oui, pères conscrits, si j’avais pensé que la mort de Catilina fût le parti le plus utile, je n’aurais pas laissé une heure d’existence à ce vil gladiateur. En effet, si de grands hommes, d’illustres citoyens, ont honoré leur nom, bien loin de le ternir, par le meurtre de Saturninus, des Gracques, de Flaccus, et de tant d’autres factieux ; certes je n’avais pas à craindre que le supplice d’un monstre, assassin de ses concitoyens, attirât jamais sur ma tête les censures de l’opinion. Et dût cette opinion se soulever un jour contre moi, j’ai toujours pensé qu’une disgrâce méritée par la vertu est moins une disgrâce qu’un titre de gloire.

Mais il est dans cet ordre même des hommes qui ne voient pas, ou qui feignent de ne pas voir les dangers qui nous menacent. Ce sont eux qui, par la mollesse de leurs conseils, ont nourri les espérances de Catilina, et fortifié, en refusant d’y croire, la conjuration naissante. Leur opinion est une autorité dont se prévaudraient, si je l’avais puni, bien des gens ou méchants ou trompés,