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qui nous éclaire, de l’air que nous respirons, lorsque tu sais qu’il n’est personne ici qui ignore que la veille des calendes de janvier, le dernier jour du consulat de Lépidus et de Tullus, tu te trouvas sur la place des comices, armé d’un poignard ? que tu avais aposté une troupe d’assassins pour tuer les consuls et les principaux citoyens ? que ce ne fut ni le repentir, ni la crainte, mais la fortune du peuple romain, qui arrêta ton bras et suspendit ta fureur ? Je n’insiste point sur ces premiers crimes ; ils sont connus de tout le monde, et bien d’autres les ont suivis. Combien de fois, et depuis mon élection, et depuis que je suis consul, n’as-tu pas attenté à ma vie ? combien de fois n’ai-je pas eu besoin de toutes les ruses de la défense, pour parer des coups que ton adresse semblait rendre inévitables ? il n’est pas un de tes desseins, pas un de tes succès, pas une de tes intrigues, dont je ne sois instruit à point nommé. Et cependant rien ne peut lasser ta volonté, décourager tes efforts. Combien de fois ce poignard dont tu nous menaces a-t-il été arraché de tes mains ? combien de fois un hasard imprévu l’en a-t-il fait tomber ? Et cependant il faut que ta main le relève aussitôt. Dis-nous donc sur quel affreux autel tu l’as consacré, et quel vœu sacrilège t’oblige à le plonger dans le sein d’un consul ?

VII. À quelle vie, Catilina, es-tu désormais condamné ? car je veux te parler en ce moment, non plus avec l’indignation que tu mérites, mais avec la pitié que tu mérites si peu. Tu viens d’entrer dans le sénat : eh bien ! dans une assemblée si nombreuse, où tu as tant d’amis et de proches, quel est celui qui a daigné te saluer ? Si personne avant toi n’essuya jamais un tel affront, pourquoi attendre que la voix du sénat prononce le flétrissant arrêt si fortement exprimé par son silence ? N’as-tu pas vu à ton arrivée tous les sièges rester vides autour de toi ? n’as-tu pas vu tous ces consulaires, dont tu as si souvent résolu la mort, quitter leur place quand tu t’es assis, et laisser désert tout ce côté de l’enceinte ? Comment peux-tu supporter tant d’humiliation ? Oui, je le jure, si mes esclaves me redoutaient comme tous les citoyens te redoutent, je me croirais forcé d’abandonner ma maison : et tu ne crois pas devoir abandonner la ville ! Si mes concitoyens, prévenus d’injustes soupçons, me haïssaient comme ils te haïssent, j’aimerais mieux me priver de leur vue que d’avoir à soutenir leurs regards irrités : et toi, quand une conscience criminelle t’avertit que depuis longtemps ils ne te doivent que de l’horreur, tu balances à fuir la présence de ceux pour qui ton aspect est un cruel supplice ! Si les auteurs de tes jours tremblaient devant toi, s’ils te poursuivaient d’une haine irréconciliable, sans doute tu n’hésiterais pas à t’éloigner de leurs yeux. La patrie, qui est notre mère commune, te hait ; elle te craint ; depuis longtemps elle a jugé les desseins parricides qui t’occupent tout entier. Eh quoi ! tu mépriseras son autorité sacrée ! tu te révolteras contre son jugement ! tu braveras sa puissance ! Je crois l’entendre en ce moment t’adresser la parole. « Catilina, » semble-t-elle te dire, "depuis quelques années il ne s’est pas commis un forfait dont tu ne sois l’auteur, pas un scandale où tu n’aies pris part. Toi seul as eu le privilège d’égorger impunément les citoyens, de tyranniser et de piller les alliés. Contre toi les lois sont muettes, et les tribunaux, impuissants ; ou plutôt tu les as renversés, anéantis. Tant d’outrages méritaient toute