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l’an 691, et Catilina se vit encore une fois repoussé. Il avait appelé d’Étrurie, pour soutenir sa brigue, une foule de ses satellites et Mallius à leur tête. Son dessein était d’assassiner Cicéron au milieu même de l’assemblée ; mais le consul descendit au Champ de Mars, armé d’une cuirasse, et environné d’une escorte nombreuse et dévouée. Mallius regagna l’Étrurie, et Catilina, frémissant de rage, alla méditer de nouveaux attentats. Le décret du sénat donnait au consul le droit de le faire saisir et jeter en prison. Cicéron nous apprendra lui-même pourquoi il n’en fit point usage. Un bon citoyen, L. Paullus, essaya une dernière fois contre l’ennemi public la puissance des lois. Il l’appela en justice aux termes de la loi Plautia, qui défendait de se trouver en public avec une arme offensive, et d’user de violence envers les magistrats.

Mais Catilina n’en pressait que plus vivement sa criminelle entreprise. Mallius commença la guerre en Étrurie le 27 octobre. Le 23, un projet de massacre échoua dans Rome par la vigilance du consul. Le 1er  novembre, une attaque fut tentée sur Préneste, et ne réussit pas davantage, Enfin, la nuit du 6 au 7 novembre, Catilina réunit ses complices chez le sénateur Porcius Léca. Là furent résolus le meurtre de Cicéron, l’incendie de Rome, le soulèvement de l’Italie, le départ de Catilina pour le camp de Mallius. Au sortir de ce conseil impie, et sans attendre que le jour fût venu, Varguntéius et Cornélius se rendirent chez Cicéron pour l’égorger dans son lit. Mais déjà Curius avait averti Fulvie, et le consul savait tout. Il ferma sa porte aux assassins ; ensuite il convoqua le sénat dans le temple de Jupiter Stator, et lui exposa tous les détails de la conspiration. Catilina ne pouvait ignorer l’objet de l’assemblée. Il eut cependant l’audace de s’y rendre, soit pour rassurer ses complices, soit pour détourner les soupçons. Lorsqu’il entra, tous les sénateurs, fuyant son approche, laissèrent vide la partie de l’enceinte où il alla se placer. C’est en ce moment que le consul, s’abandonnant à son indignation, lui adressa cette foudroyante harangue, qui le força de quitter la ville sans avoir pu l’inonder de sang.

Confondu par les reproches du consul, et plus encore par la force de la vérité, Catilina sut pourtant dissimuler sa honte et sa colère. Il prit une contenance hypocrite, et d’un ton suppliant, il conjura les sénateurs de ne pas ajouter foi à des accusations sans preuve. Il parla de sa famille, de ses espérances, des services de ses ancêtres, ajoutant qu’un homme de son rang ne pouvait songer à bouleverser la république, quand un citoyen d’Arpinum, Marcus Tullius, s’en faisait le protecteur. Comme il continuait d’invectiver contre Cicéron, des murmures d’indignation étouffèrent sa voix ; les noms de traître et d’assassin retentirent à ses oreilles, et il sortit plein de fureur en répétant la menace d’écraser ses ennemis sous les ruines de l’État.


I. Jusques à quand abuseras-tu de notre patience, Catilina ? combien de temps encore serons-nous le jouet de ta fureur ? jusqu’où s’emportera ton audace effrénée ? Quoi ! ni la garde qui veille la nuit sur le mont Palatin, ni les forces répandues dans toute la ville, ni la consternation du peuple, ni ce concours de tous les bons citoyens, ni le lieu fortifié choisi pour cette assemblée, ni les regards indignés de tous les sénateurs, rien n’a pu t’ébranler ! Tu ne vois pas que tes projets sont découverts ? que ta conjuration est ici environnée de témoins, enchaînée de toutes parts ? Penses-tu qu’aucun de nous ignore ce que tu as fait la nuit dernière et celle qui l’a précédée ; dans quelle maison tu t’es rendu ; quels complices tu as réunis ; quelles résolutions tu as prises ?

O temps ! ô mœurs ! tous ces complots, le Sénat les connaît, le consul les voit, et Catilina vit encore ! Il vit ; que dis-je ? il vient au sénat ; il est admis aux conseils de la république ; il choisit parmi nous et marque de l’œil ceux qu’il veut immoler. Et nous, hommes pleins de courage, nous croyons faire assez pour la patrie, si nous évitons sa fureur et ses poignards ! Depuis longtemps, Catilina, le consul aurait dû t’envoyer à la mort, et faire tomber ta tête sous le glaive dont tu veux tous nous frapper. Le premier des Gracques essayait contre l’ordre établi des innovations dangereuses ; un illustre citoyen, le grand pontife P. Scipion, qui cependant n’était pas magistrat, l’en punit par la mort. Et lorsque Catilina s’apprête à faire de l’univers un théâtre de carnage et d’incendies, les consuls ne l’en puniraient pas ! Je ne rappellerai point que Servillus Ahala, pour sauver la république des changements que méditait Spurius Mélius, le tua de sa propre main : de tels exemples sont trop anciens.

Il n’est plus, non, il n’est plus ce temps où de grands hommes mettaient leur gloire à frapper avec plus de rigueur un citoyen pernicieux que l’ennemi le plus acharné. Aujourd’hui un sénatus-consulte nous arme contre toi, Catilina, d’un pouvoir terrible. Ni la sagesse des conseils, ni