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mémoire ? Que dirons-nous en faveur de ces hommes si recommandables, de ces excellents citoyens, de ces chevaliers romains qui se joignirent alors au sénat pour sauver la république ? Que dirons-nous pour les tribuns du trésor, pour tous les hommes de tous les rangs, qui prirent alors les armes pour défendre la liberté commune ?

X. Mais pourquoi parler de tous ceux qui ont obéi aux ordres consulaires ? Que devient l’honneur des consuls eux-mêmes ? L. Flaccus, qui montra toujours tant de zèle, dans sa vie politique, dans l’exercice des magistratures, dans le sacerdoce, dans les cérémonies auxquelles il présidait, sera-t-il flétri, après sa mort, comme atteint d’un crime affreux, de parricide ? Envelopperons-nous dans cette ignominie et dans cette proscription des morts, le nom de C. Marius ? C. Marius, que nous pouvons à juste titre appeler le père de la patrie, le père de votre liberté et de la république, sera condamné comme coupable d’un crime odieux, de parricide, et sa mémoire sera flétrie ? En effet, si T. Labiénus veut faire périr C. Rabirius sur la croix, dans le Champ de Mars, pour avoir couru aux armes, quel supplice imaginera-t-on pour celui qui avait appelé aux armes les citoyens ? Si l’on donna une sauvegarde à Saturninus, ce que vous répétez à chaque instant, ce n’est point C. Rabirius, mais bien C. Marius, qui l’a donnée ; lui seul fut coupable, s’il n’a pas tenu parole. Mais dites-moi, Labiénus, quelle sauvegarde a-t-on pu donner, sans un décret du sénat ? Êtes-vous assez étranger dans Rome, assez peu instruit de nos institutions et de nos coutumes pour ignorer de pareilles choses ? On vous prendrait pour un voyageur passant dans une ville étrangère, et non pour un magistrat en fonctions dans sa patrie.

Mais quel mal, dit Labiénus, tout cela peut-il faire à Marius, puisqu’il est privé du sentiment et de la vie ? Eh quoi ! Marius aurait-il passé ses jours dans les travaux et les périls, si ses désirs et ses espérances n’avaient rien envisagé pour lui et pour sa gloire, au delà du terme de la vie ? Mais sans doute, après avoir défait en Italie cette multitude innombrable d’ennemis, après avoir délivré la patrie assiégée, il croyait que toute la gloire de ses actions périrait avec lui ! Non, Romains, non ; il n’est aucun de nous qui s’expose avec un noble dévouement aux dangers de la vie publique sans l’espoir de vivre glorieusement dans la postérité. Aussi parmi tant de motifs qui me portent à croire que l’âme des hommes de bien est divine et immortelle, je n’en trouve point de plus forts que ce pressentiment de l’avenir qui remplit le cœur des hommes les plus vertueux et les plus éclairés, et ne leur laisse envisager que l’immortalité. Ô Marius ! ô vous tous qui vous êtes illustrés par votre courage et votre sagesse, et dont les âmes ont passé d’une vie mortelle aux honneurs et au sanctuaire des dieux, c’est vous que j’atteste ! Oui, combattre pour votre renommée, votre gloire et votre nom, est à mes yeux un devoir aussi sacré que la défense des autels et des temples de la patrie. Si pour soutenir votre honneur, il fallait prendre les armes, je les prendrais avec autant d’empressement que vous l’avez fait vous-mêmes pour le salut de la république. En effet, Romains, si la nature a renfermé notre vie dans des bornes étroites, elle n’en a pas mis à notre gloire.

XI. Aussi, en honorant ceux qui ne sont plus,