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XXXI. En effet, quand ils verraient dans cette cause les accusateurs en possession d’une fortune immense, et Sextus réduit à la misère, ils ne chercheraient pas à qui l’action a été profitable ; à l’instant même tous les soupçons se dirigeraient plutôt sur l’opulence des accusateurs que sur l’indigence de l’accusé. Mais si l’on ajoutait de plus que vous étiez pauvre avant ce crime, que vous étiez un homme cupide, audacieux, l’ennemi déclaré de celui qui a été assassiné, faudrait-il chercher encore si vous aviez des raisons pont commettre ce meurtre ?

Or est-il rien, dans tout ce que j’énonce ici, qui puisse être contesté ? La pauvreté de cet homme est extrême ; elle est publique ; elle se montre d’autant plus qu’on prend plus de soin pour la dissimuler. Titus, vous avez mis votre cupidité en évidence, en vous associant à un étranger pour dépouiller un compatriote et un parent. Mille preuves attestent votre audace ; je n’en produirai qu’une : c’est que, dans toute votre société, c’est-à-dire parmi un si grand nombre de sicaires, nul autre que vous seul n’a osé prendre place sur le banc des accusateurs, et se montrer, s’offrir même aux regards du public. Enfin, vous ne pouvez disconvenir que vous n’ayez été l’ennemi de Roscius, et qu’il n’ait existé entre Roscius et vous de grands démêlés d’intérêt.

Juges, la mort de Roscius a procuré des richesses à Titus ; elle a ravi à Sextus tout ce qu’il possédait. Avant l’assassinat, Titus était pauvre ; après l’assassinat, Sextus s’est vu réduit à la plus affreuse indigence. L’un poursuit ses parents avec fureur, pour assouvir sa cupidité ; l’autre, toujours désintéressé dans sa conduite, ne fit jamais d’autre gain, et ne connut jamais d’autre revenu que les produits de son travail. Le premier est le plus audacieux des acquéreurs ; l’autre, qui ne connaît ni le forum ni les tribunaux, redoute les procès et même l’approche de Rome ; et pour dire encore plus, Titus fut l’ennemi de Roscius, Sextus est son fils : lequel doit être présumé son assassin ?

XXXII. Érucius, si vous aviez trouvé contre l’accusé tant et de si fortes présomptions, quels seraient votre triomphe et l’insolence de vos interminables discours ? Certes le temps vous manquerait plus tôt que les paroles. En effet, chaque article suffirait pour consumer des journées entières. Je pourrais parler aussi longtemps que vous ; car, encore que je sente la faiblesse de mon talent, je ne porte pas la modestie jusqu’à croire mon esprit plus stérile que le vôtre. Mais peut-être, vu la multitude des défenseurs, resterai-je confondu dans la foule ; et vous, grâce à une nouvelle bataille de Cannes, vous occupez un des premiers rangs parmi les accusateurs. Combien nous en avons vu périr auprès du lac, non de Trasimène, mais de Servilius ! Eh ! qui put échapper alors au fer des Phrygiens ? Il est inutile de les dénombrer ici, de citer ces vétérans des tribunaux, les Curtius, les Niarius, les Memmius, enfin cet autre Priam, le vieux Antistius, à qui l’âge et même les lois ne permettaient plus l’usage des armes. Avec eux ont succombé mille autres gens obscurs et oubliés, qui accusaient les assassins et les empoisonneurs. Quant à moi, je voudrais qu’ils vécussent tous : car ce n’est pas un mal qu’il y ait un grand