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pour votre beau-père, le bien ou le territoire des Hirpins (car il le possède tout entier) vaut mieux que, pour moi, la terre d’Arpinum que j’ai reçue de mon père et de mes aïeux. Car c’est là que vous tendez. Les terres qui sont possédées avec le meilleur droit sont, sans contredit, celles dont la condition est la meilleure. Les terres libres sont possédées avec un meilleur droit que celles qui ne le sont pas : selon votre article, toutes les terres qui ont des servitudes n’en auront plus. Les terres qui n’ont pas de charges jouissent d’une meilleure condition que celles qui en ont : selon votre article, toutes les terres qui ont des charges en seront affranchies, pourvu qu’elles aient été données par Sylla. La condition des terres sans redevances est plus avantageuse que celles des terres qui en payent : je payerai une redevance dans ma terre de Tusculum, pour l’eau de Crabra qui l’arrose, parce que j’ai reçu la terre avec cette servitude ; si elle m’avait été donnée par Sylla, je ne payerais rien, en vertu de la loi de Rullus.

III. Je vois, Romains, que vous êtes également frappés, comme vous devez l’être, et de l’impudence de la loi de Rullus, et de l’impudence de ses discours : de sa loi, parce qu’elle fonde un droit de possession meilleur pour les terres données par Sylla, que pour les propriétés héréditaires ; de ses discours, lorsqu’il ose accuser qui que ce soit de défendre avec trop de chaleur les actes de Sylla. Si Rullus sanctionnait seulement les générosités de Sylla, je me tairais, pourvu qu’il s’en avouât le partisan ; mais il ne se borne pas à les sanctionner, il introduit encore dans sa loi une autre espèce de donations ; et celui qui me fait un crime de défendre les largesses de Sylla, ne se contente pas de les ratifier, il en prépare de nouvelles ; un autre Sylla s’élève parmi nous. Voyez quelles vastes concessions de terres ce censeur rigide prétend faire d’un seul mot. TOUT CE QUI A ÉTÉ DONNÉ, CONFÉRÉ, ACCORDÉ, VENDU. Patience ; je vous entends. Quoi ensuite ? TOUT CE QUI A ÉTÉ POSSÉDÉ. Ainsi, un tribun du peuple a osé dire que toute possession acquise depuis le consulat de Marius et de Carbon est aussi légitime que la propriété privée la plus légitime ? Comment ! même si cette possession est le fruit de la violence, de la fraude, ou si elle n’est que précaire ? Cette loi détruira donc le droit civil, les titres de possession, les ordonnances de préteur ? Ce simple mot de Rullus ne cache pas un projet de peu d’importance ni une fraude innocente. Il est en effet beaucoup de terres confisquées par la loi Cornélia, qui n’ont été ni réparties, ni vendues, et dont quelques individus sont effrontément les maîtres. Ce sont elles que Rullus garantit, qu’il défend, qu’il constitue en propriétés privées ; ces terres que Sylla n’a données à personne, Rullus ne veut pas vous les rendre ; il les assure à jamais à ceux qui les possèdent. Je vous demande pourquoi vous souffririez que l’on vendît les domaines conquis par vos ancêtres en Italie, en Sicile, dans les deux Espagnes, en Macédoine et en Asie, lorsque vous voyez ces biens, qui sont les vôtres, abandonnés par la même loi à ceux qui les ont usurpés ? Déjà vous comprenez que la loi tout entière est faite pour créer un pouvoir despotique en faveur de quelques hommes, et pour confirmer les donations de Sylla. Quant au beau-père de Rullus, c’est un fort honnête homme ; aussi n’est-il pas question maintenant de sa probité, mais de l’impudence de son gendre. En effet, le beau--