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vigilance et de la mienne, de ma pénétration et de la vôtre ?

II. Il est un quarantième article de la loi, sur lequel je me suis tu d’abord à dessein, soit pour ne point rouvrir une plaie déjà cicatrisée, soit pour ne point rallumer le feu des discordes civiles, dans les circonstances les plus inopportunes. Et si j’en entame aujourd’hui la discussion, ce n’est pas que je ne sente la nécessité de maintenir avec fermeté l’état de choses actuel, moi surtout qui me suis déclaré pour cette année le défenseur de la tranquillité et de l’union ; mais c’est afin d’enseigner Rullus à garder désormais le silence au moins dans les choses où il doit désirer qu’on se taise sur lui et sur sa conduite. A mon avis, la plus injuste de toutes les lois, comme aussi la moins semblable à une loi, est celle qu’a portée L. Flaccus interroi, au sujet de Sylla, « POUR DÉCLARER LÉGAL TOUT CE QU’AVAIT FAIT CELUI-CI ». Dans les autres États, l’élévation d’un tyran est le signal de l’anéantissement complet des lois : Flaccus porte une loi pour donner un tyran à la république. Cette loi est odieuse, sans doute ; elle a cependant son excuse ; elle paraît être moins la loi du personnage que de la circonstance. Quoi ! si la loi de Rullus osait bien davantage ? Car la loi Valéria et les lois Cornélia ôtent en même temps qu’elles donnent ; elles joignent une injustice atroce à d’impudentes largesses ; mais elles laissent quelque espérance à celui qu’elles ont dépouillé, quelque inquiétude à celui qu’elles enrichissent. Mais voici une des précautions de la loi de Rullus : « DEPUIS, dit-elle, LE CONSULAT DE C. MARIUS ET DE CN. PAPIRIUS. » Comme il est habile à éloigner les soupçons, en nommant surtout les consuls qui furent les plus grands ennemis de Sylla ! S’il eût nommé le dictateur, il eût pensé dévoiler ses propres intrigues, et se rendre odieux. Mais qui de vous a-t-il jugé d’assez lourde mémoire pour avoir oublié que Sylla fut dictateur après ces consuls ? Que dit donc ce tribun, partisan de Marius, qui souffla contre nous la haine, comme si nous étions partisans de Sylla ? « TOUTES LES TERRES, TOUS LES ÉDIFICES, LES LACS, LES ÉTANGS, LES PLACES, LES POSSESSIONS » (il n’a laissé que le ciel et la mer, il a embrassé tout le reste), « QUI DEPUIS LE CONSULAT DE MARIUS ET DE CARBON, ONT ÉTÉ DONNÉS, ASSIGNÉS, VENDUS, CONCÉDÉS. » Par qui, Rullus ? qui est-ce qui a, depuis Marius et Carbon, assigné, donné, concédé, si ce n’est Sylla ? « QUE TOUT CELA SOIT POSSÉDÉ AU MÊME TITRE » À quel titre ? Il porte je ne sais quel désordre dans l’état actuel des choses ; ce tribun trop ardent, trop fougueux, annule les actes de Sylla. AU MÊME TITRE QUE LES BIENS PATRIMONIAUX LES PLUS LEGITIMES. Quoi ! plus légitimement peut-être que les biens de nos pères et de nos aïeux ? Oui, sans doute. Mais la loi Valéria ne le dit point ; les lois Cornélia ne renferment pas cette sanction ; Sylla lui-même ne le demande point. Si ces biens sont tant soi peu légitimes, s’ils ressemblent tant soit peu à une propriété réelle, si l’on peut en espérer une possession durable, le plus effronté de ceux qui en ont reçu s’estimera encore trop heureux. Mais vous, Rullus, que demandez-vous ? que les possesseurs de ces terres en restent possesseurs ? Qui l’empêche ? Qu’ils les possèdent comme les leurs propres ? Mais tels sont les termes de votre loi que,