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mœurs de l’homme sont moins une conséquence de son origine et de sa race, que de la nature du climat, des habitudes de la vie et de l’éducation. Les Carthaginois étaient fourbes et menteurs, moins par caractère qu’à cause de la situation de leur pays ; la soif du gain, le désir de tromper, étaient provoqués en eux par leurs relations avec les marchands et les étrangers attirés dans leurs ports. Les Liguriens qui habitent les montagnes sont durs et sauvages ; leurs champs infertiles leur ont appris à n’en rien tirer que par une longue et pénible culture. L’orgueil des Campaniens vient de la bonté du terroir, de la richesse des récoltes, de la salubrité, de l’étendue et de la beauté de leur ville. De cette abondance de toutes choses, de ce bien-être universel, est née d’abord cette insolente présomption qui leur fit demander à nos ancêtres l’honneur de donner un des deux consuls à la république, puis ce luxe énervant qui triompha d’Annibal lui-même, et dompta par les voluptés cet homme que n’avait pu vaincre la force des armes. Lorsque les décemvirs, en vertu de la loi de Rullus, auront conduit à Capoue un certain nombre de colons, qu’ils y auront établi cent décurions, dix augures, six pontifes, songez quel sera l’orgueil de ces nouveaux habitants, leur fougue et leur audace ! Rome, au sommet de ses collines, et dans le fond de ses vallées, dont les maisons s’élèvent et semblent suspendues dans les airs, dont les rues sont étroites et mal percées ; Rome, en comparaison de leur Capoue, qui se développe dans une vaste plaine, dont toutes les rues sont spacieuses, sera l’objet de leurs injures et de leurs mépris. Auront-ils seulement la pensée de mettre en parallèle avec leurs campagnes riches et fertiles, les champs du Vatican et de Pupinia ? Ils opposeront, par une moquerie insultante, leurs villes voisines aux nôtres ; ils compareront Labicium, Fidènes, Collatie, Lanuvium même, Aricie, Tusculum, avec Cales, Téanum, Naples, Pompeï, Pouzzoles et Nucérie. Enflés de tant d’avantages, peut-être sauront-ils se contenir d’abord ; mais laissez-les prendre tant soit peu de consistance et de forces, et vous les verrez infailliblement éclater, aller plus avant, et secouer bientôt toute retenue. Un homme ordinaire, à moins qu’il ne soit doué d’une sagesse rare, peut à peine se maintenir dans les limites de la modération, quand la fortune l’a comblé de ses faveurs : à plus forte raison, des hommes habilement choisis par Rullus et ses pareils, établis à Capoue dans le séjour de l’orgueil, au milieu des jouissances du luxe, chercheront-ils aussitôt des occasions de désordre et de crime. Leurs excès surpasseront ceux des anciens indigènes de la Campanie ; car si ces hommes, nés et élevés au sein de l’opulence de leurs aïeux, cédèrent à la dépravation qu’entraîne avec soi l’excès des richesses ; combien les nouveaux habitants, transportés d’une extrême pauvreté au milieu des mêmes délices, ne se corrompront-ils pas non seulement par cette abondance, mais par l’ignorance où ils ont été jusque-là de ses séductions ?

XXXVI. Ainsi, Rullus, vous avez mieux aimé suivre l’exemple criminel de Brutus, que les traditions de la sagesse de nos ancêtres. Vous avez donc formé le projet, vous et vos complices, de vendre nos anciens revenus et de faire main basse sur les nouveaux ; d’élever à Capoue une rivale de la puissance de Rome ; de soumettre à vos lois,