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d’honneurs à conférer. Les rivalités, l’ambition ne les divisaient pas ; car il ne restait rien qu’ils pussent se disputer, rien qu’ils briguassent au préjudice les uns des autres, rien qui détruisît leur union. Aussi, cette arrogance campanienne, cette fierté intolérable, fut amenée insensiblement, par la politique prudente de nos ancêtres, à l’état d’oisiveté la plus indifférente et la plus complète. Par là, ils ont échappé au reproche de cruauté, en épargnant l’une des plus belles villes de l’Italie, et ils se sont assuré une garantie pour l’avenir, en laissant à cet État, dont ils avaient brisé les ressorts vigoureux, une existence désormais mutilée et languissante.

XXXIV. Cette politique de nos ancêtres, trouvée jadis, comme je l’ai dit plus haut, digne de blâme par M. Brutus, semble aujourd’hui de même à Rullus. Le sort de Brutus n’est-il pas pour vous un présage, Rullus, un avertissement qui doit vous préserver d’une pareille folie ? Car, Brutus, qui a conduit la colonie, et ceux qui, en vertu de cette loi, se sont installés magistrats à Capoue, et ceux encore qui ont eu part à cet établissement, à ses honneurs et à ses profits, payèrent tous cruellement la peine de leur usurpation sacrilège. Et puisque j’ai parlé de Brutus et de cette fatale époque, je rappellerai ce que j’ai vu moi-même à Capoue, alors que la colonie y fut établie, sous L. Considius et Sextus Saltius, préteurs, comme ils se désignaient eux-mêmes. Vous verrez quel orgueil leur inspirait le lieu même, et comment cet orgueil apparut assez visiblement à mes yeux dès les premiers jours de la nouvelle colonie. J’ai déjà dit que les deux magistrats appelés duumvirs dans les autres colonies, se faisaient appeler préteurs à Capoue. La première année, ils avaient affecté cette incroyable prétention ; pensez-vous que, quelques années après, ils n’eussent pas aspiré au titre de consuls ? Ensuite, ils se faisaient précéder de licteurs, portant non les baguettes, mais les faisceaux, comme devant les préteurs de Rome. De grandes victimes étaient amenées sur la place ; de l’avis du collège des pontifes, et suivant les formalités que remplissent en pareil cas nos consuls, elles étaient agréées par ces préteurs du haut de leur tribunal, et immolées à la voix du héraut et au son de la flûte. Enfin, en s’adressant à eux, on les nommait Pères Conscrits. Mais déjà il était à peine possible de souffrir les airs de hauteur de Considius. Cet homme d’une effroyable maigreur, et que j’avais vu à Rome méprisé et avili, étalait à Capoue toute l’arrogance du pays et toute la fierté d’un monarque : il me semblait voir les Magius, les Blossius, les Iubellius. Et comme ces pauvres citadins étaient tremblants ! comme ils accouraient sur les places d’Albane et de Séplasie, demandant : Qu’a décidé le préteur ? Où soupe-t-il ? Que dit-il ? Nous autres, qui venions de Rome, on ne nous regardait plus comme des hôtes ; on nous appelait des étrangers.

XXXV. Les hommes qui avaient pressenti ces résultats, je veux dire nos ancêtres, n’ont-ils pas, Romains, autant de droits à vos respects, à votre vénération, que les dieux immortels ? Qu’ont-ils vu en effet ? cela même que je vous supplie de voir et de connaître vous-mêmes. Les